Griselda Records - Don’t Get Scared Now (chronique, review, tracklist)

Don’t Get Scared Now est un EP fondateur du collectif américain Griselda Records, réunissant Westside Gunn, Conway the Machine et Mach-Hommy. Sorti le 27 mai 2016 via le label londonien Daupe!, ce projet cristallise l’esthétique Griselda : un boom bap sombre, cinématographique et intensément new-yorkais, porté par des flows tranchants et une ambiance mafieuse. Distribué en tirages ultra-limités, l’EP est rapidement devenu un objet culte dans le rap underground.

Sorti en 2016, Don’t Get Scared Now marque une étape fondatrice dans l’histoire de Griselda Records. Pensé comme un EP mais affichant près d’une demi-heure de musique répartie sur six titres, le projet réunit Westside Gunn, Conway the Machine et Mach-Hommy – alors simple affilié du collectif, venu remplacer l’absence remarquée de Benny the Butcher. Dès ses premières minutes, l’album impose une atmosphère lourde, menaçante, et confirme l’identité sonore d’un groupe encore en pleine affirmation.

La production, confiée quasi exclusivement à Daringer – avec une seule incursion de The Alchemist sur “Ajax” – constitue le socle de cette esthétique sombre et minimaliste. Maître des boucles et des textures poussiéreuses, Daringer déploie ici son art dans ce qui reste l’une de ses plus pures démonstrations : des batteries feutrées, des lignes de basse discrètes mais entêtantes, et surtout des samples répétitifs transformés en mantras hypnotiques. Ses beats, souvent décrits comme “grimy”, atteignent sur Don’t Get Scared Now un sommet d’efficacité, donnant l’impression d’une peinture monochrome travaillée à l’excès, où chaque nuance grise révèle une intensité insoupçonnée.

Le trio d’MCs s’empare de ce canevas sonore avec une présence vocale redoutable. Westside Gunn se distingue par son charisme singulier et ses adlibs devenus signature, tandis que Conway impose sa diction lente, tranchante, au service d’une imagerie mafieuse glaçante. Mach-Hommy, quant à lui, excelle dans cet environnement de boom bap poussiéreux mâtiné de jazz rap, offrant certaines de ses prestations les plus mémorables au sein du collectif. L’équilibre entre les trois voix, chacune avec son style et sa férocité, confère à l’ensemble une cohésion remarquable et une énergie brute, différente de la maturité affichée plus tard sur WWCD.

Les premiers morceaux – “Chyna”, “StoveTops” et “Visionware” – incarnent parfaitement la formule Griselda : des rythmes lents, des samples étouffants et des flows qui privilégient la densité atmosphérique à la démonstration technique. “Chyna”, ouvert par une boucle de guitare saturée, illustre à elle seule le génie de Daringer dans l’art du minimalisme agressif. “StoveTops” joue sur la tension d’un drone de cordes, tandis que “Visionware” fascine par un sample vocal implacablement répété, que Mach-Hommy maîtrise avec une fluidité redoutable.

La seconde moitié de l’EP culmine avec deux pièces maîtresses. Sur “Ajax”, The Alchemist livre un instrumental lugubre, amplifié par un changement de beat surprenant en milieu de morceau. Gunn et Conway y développent un univers macabre, renforçant l’intensité dramatique du projet. Enfin, “Benz Window” clôt l’album dans une atmosphère glaciale, où la prestation de Prodigy – invité de prestige, disparu l’année suivante – transforme le titre en hommage anticipé et en point final magistral.

Avec Don’t Get Scared Now, Griselda signait une œuvre courte mais d’une cohérence implacable, posant les bases d’un son que beaucoup ont tenté d’imiter sans jamais l’égaler. Si l’on peut regretter son format resserré et une légère inégalité entre les premiers morceaux et les deux titres de clôture, nettement plus marquants, l’EP démontre à quel point la force du collectif résidait alors dans l’alliance d’une production rugueuse et d’une interprétation vocale sans concession. Plus qu’un simple projet de transition, il s’impose comme une pièce essentielle de la discographie du groupe et l’une des meilleures vitrines du style unique forgé par Daringer et ses acolytes.

Tracklist (liste des titres)