Ancienne forteresse inca et village vivant, Ollantaytambo attire chaque année de nombreux visiteurs fascinés par son architecture remarquable et son riche héritage culturel. Ce site emblématique constitue un point de départ majeur pour les explorations vers le Machu Picchu. | © DR

Ollantaytambo : Le bastion inca qui défia l'Histoire

 

Situé dans la vallée sacrée des Incas, à environ 70 kilomètres de Cuzco, Ollantaytambo est un site exceptionnel dont les terrasses défient encore les lois de la gravité et du temps. Toujours habité, il se distingue par son architecture précise et remarquablement conservée, témoignant du savoir-faire inca et de son adaptation ingénieuse au terrain montagneux.

Peu de visiteurs savent qu’Ollantaytambo fut l’un des très rares lieux où les armées incas réussirent à infliger une défaite militaire aux conquistadors espagnols. En 1537, les troupes de Manco Inca y repoussèrent les assauts menés par Hernando Pizarro grâce à un ingénieux système d’irrigation détourné pour inonder les plaines environnantes et désorganiser l’infanterie espagnole. Cette victoire, bien que temporaire, constitue un épisode singulier dans la conquête du Pérou, marquant le site non seulement comme une prouesse architecturale, mais aussi comme un symbole de résistance inca.

Histoire de Ollantaytambo : Aux origines d’un bastion sacré

L’occupation humaine d’Ollantaytambo remonte à près de 3 500 ans, bien avant l’émergence de l’Empire inca. Les premières structures recensées dans la région sont attribuées à des cultures pré-incas telles que les Huari, dont la présence entre 600 et 1000 apr. J.-C. a laissé des traces tangibles, notamment des vestiges d’habitat et de fortifications. La citadelle militaire de Pumamarka, située à proximité, contrôlait déjà les accès à la vallée via un réseau de sentiers qui sera ultérieurement intégré à l’Inca Trail. Ce passé plurimillénaire confère au site une profondeur historique singulière, bien antérieure à son apogée sous les Incas.

Vue des imposantes structures d'Ollantaytambo

Vue des imposantes structures d'Ollantaytambo, l'un des complexes architecturaux les plus monumentaux de l'ancien empire inca. Souvent désigné comme une « Forteresse » en raison de ses immenses murs, Ollantaytambo servait en réalité de Tambo, une ville d'hébergement. Stratégiquement situé pour dominer la Vallée Sacrée des Incas, ce site illustre l'ingéniosité et la planification urbaine avancée des Incas, combinant à la fois des fonctions militaires, religieuses et résidentielles. | © MundoCroqueta

C’est au milieu du XVe siècle que le site entre dans une nouvelle phase de son développement, lorsque l’empereur Pachacútec conquiert la région et détruit la ville préexistante pour la reconstruire selon les principes d’urbanisme inca. Ollantaytambo devient alors un domaine impérial rattaché à son patrimoine personnel. L’empereur y ordonne la construction d’édifices somptueux, aménage de vastes terrasses agricoles sur les flancs de la vallée de l’Urubamba, et implante un système sophistiqué d’irrigation. Tandis que les nobles incas logent dans la ville, les yanakuna, serviteurs impériaux, exploitent les terres environnantes. Après la mort de Pachacútec, l’administration de l’ensemble revient à sa panaqa, son clan familial, garant de la continuité dynastique.

Vestiges des greniers incas sur les flancs de colline dominant Ollantaytambo

Vestiges des greniers incas sur les flancs de colline dominant Ollantaytambo. Ces structures, connues sous le nom de « qullqas », étaient construites en pierres des champs et situées à des altitudes élevées, où des températures plus basses et des vents plus forts prévenaient la détérioration des denrées stockées. Les qullqas d'Ollantaytambo étaient équipées de systèmes de ventilation pour améliorer cet effet de conservation. Selon les sources historiques, les grains étaient versés par les fenêtres situées du côté amont de chaque bâtiment et retirés par les fenêtres du côté aval. Ces greniers servaient probablement à stocker les récoltes des terrasses agricoles aménagées autour du site. | © Stevage

Lorsque débute la conquête espagnole, Ollantaytambo prend une importance stratégique décisive. En 1537, Manco Inca, chef de la résistance indigène, y établit sa capitale temporaire après la chute de Cuzco. Il fortifie la ville et repousse les Espagnols lors de la bataille de Mascabamba, en exploitant la hauteur des terrasses pour bloquer leur avancée et en inondant la plaine pour désorganiser leurs lignes. Cette victoire éphémère symbolise la dernière contre-offensive significative des Incas. L’année suivante, Manco Inca quitte pourtant Ollantaytambo, jugeant sa position trop exposée, et se replie à Vilcabamba, où il fonde un État néo-inca. En 1540, les populations autochtones restantes sont assignées en encomienda à Hernando Pizarro, marquant l’intégration forcée du site dans le système colonial. Ollantaytambo suscitera néanmoins l’intérêt de plusieurs explorateurs étrangers au XIXe siècle, dont Clements Markham, Charles Wiener ou Ernst Middendorf, avant d’être brièvement visité par Hiram Bingham en 1911, en route vers la redécouverte de Machu Picchu.

Architecture et organisation spatiale d’Ollantaytambo

Située dans une vallée encaissée des Andes péruviennes, Ollantaytambo se distingue par une intégration remarquable de l’architecture dans son environnement naturel. Le site est dominé par des versants escarpés, notamment le Cerro Bandolista, sur lequel s’élèvent les terrasses monumentales de Pumatallis. Ces structures agricoles, conçues à la fois pour stabiliser les pentes et optimiser la culture, témoignent de la maîtrise inca en matière d’adaptation au relief. Le paysage est ainsi structuré par une série de terrasses, de murs de soutènement et de bâtiments rituels, qui composent un ensemble harmonieux entre nature, activité humaine et fonction symbolique. À l’est de la ville se déploie un système d’andenes plus sophistiqué encore, comme le Callejón, une terrasse encaissée longue de 700 mètres et profonde de 15 mètres, créant un microclimat favorable à la culture de plantes d’altitude inférieure. Cet aménagement paysager, à la fois fonctionnel et esthétique, illustre la volonté inca de valoriser l’espace à des fins agricoles, sociales et religieuses.

Protubérances en forme de T sur les blocs de pierre du portail inachevé d’Ollantaytambo

Protubérances en forme de T sur les blocs de pierre du portail inachevé d’Ollantaytambo. Typiques de l’architecture inca, ces structures suscitent diverses théories : elles auraient servi à faciliter le transport et l’ajustement des pierres, ou à insérer des crampons métalliques pour renforcer la stabilité — une technique héritée de la civilisation pré-inca de Tiwanaku. D’autres hypothèses leur attribuent un rôle symbolique ou rituel, en lien avec les croyances astronomiques et religieuses des Incas. | © Pavel  Špindler

Le type architectural d’Ollantaytambo

Le type architectural d’Ollantaytambo, associé à la qualité remarquable de chaque pierre soigneusement travaillée individuellement (comme illustré ici), confère à ce site l’un des exemples les plus singuliers et impressionnants de l’art architectural des anciens Péruviens. | © DR

L’organisation urbaine d’Ollantaytambo répond à une rigoureuse planification orthogonale. Le noyau de la ville comporte quatre rues longitudinales croisées par sept transversales, formant un quadrillage centré sur une vaste place ouverte à l’est. Dans la partie sud, les habitations sont réparties en kanchas, ensembles rectangulaires composés de quatre pièces disposées autour d’une cour. L’architecture monumentale se concentre quant à elle sur la colline, dont les structures religieuses, notamment le Temple du Soleil et le Mur des Six Monolithes, sont érigées en blocs de rhyolite soigneusement taillés, extraits de la carrière de Kachiqhata située à 5 km. Ces blocs massifs, transportés à travers torrents et pentes à l’aide de rampes, de câbles et de contrepoids, démontrent un haut niveau d’ingénierie.

Mur des Six Monolithes, Ollantaytambo, Pérou

Mur des Six Monolithes, Ollantaytambo, Pérou — Ce mur monumental, composé de six blocs massifs de porphyre rouge finement sculptés et assemblés avec une précision remarquable, illustre le savoir-faire exceptionnel des ingénieurs incas, tant dans la taille que dans le transport des pierres extraites à plusieurs kilomètres. Partie intégrante du Temple du Soleil, il symbolise la sophistication architecturale et la dimension spirituelle de la civilisation inca. | © Jofrigerio

Les murs de certaines constructions atteignent jusqu’à 12 mètres d’épaisseur, notamment ceux des aqueducs, afin de résister aux séismes. Les techniques de taille incluaient l’usage d’outils en cuivre durci et la fragmentation thermique des blocs. Le style architectural mêle rigueur géométrique, fonctionnalité hydraulique (comme en témoignent les nombreuses fontaines) et une symbolique religieuse marquée, révélant une pensée constructive où chaque élément contribue à un projet global de domination spatiale, économique et spirituelle.

Un héritage vivant de la civilisation inca

La forteresse d’Ollantaytambo ne figure pas individuellement sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, mais elle est intégrée dans l’ensemble plus large du Sanctuaire historique de Machu Picchu, inscrit en 1983, en tant que partie essentielle du réseau inca. Le site bénéficie également de la reconnaissance de l’État péruvien comme patrimoine culturel de la Nation. Des efforts significatifs ont été engagés pour préserver les structures architecturales et les canaux d’irrigation encore en usage. Toutefois, le site est confronté à des menaces croissantes liées à l’érosion naturelle, à l’urbanisation de la vallée environnante, et à l’afflux touristique massif. Des projets de conservation impliquant les communautés locales et les autorités culturelles visent à maintenir un équilibre entre valorisation touristique et préservation à long terme.

Portail inca à Ollantaytambo, intégré à une maison toujours habitée

Portail inca à Ollantaytambo, intégré à une maison toujours habitée. La présence d’un linteau monolithe témoigne de l’importance particulière de cette entrée. Au premier plan, des enfants semblent chercher des poissons dans le caniveau. | © Stevage

Vue d’un quartier habité de l’ancienne cité inca d’Ollantaytambo

Vue d’un quartier habité de l’ancienne cité inca d’Ollantaytambo, où les habitants vivent toujours au sein des structures ancestrales. Cette continuité d’occupation illustre l’intégration remarquable du patrimoine historique dans la vie quotidienne contemporaine. | © Mario Cuitiño

Ollantaytambo conserve aujourd’hui une forte charge symbolique, à la fois pour les populations locales, qui y voient un lien tangible avec leur héritage andin, et pour les visiteurs, qui découvrent un lieu empreint de spiritualité et d’histoire. Lieu de mémoire de la résistance inca face aux conquistadors, le site incarne l’ingéniosité et la résilience d’une civilisation précolombienne avancée. Contrairement à d’autres vestiges archéologiques figés, Ollantaytambo est également un village vivant, où les habitants continuent d’occuper les anciennes rues incas et d’utiliser les infrastructures hydrauliques ancestrales. Cette continuité d’usage renforce la perception du site comme un patrimoine vivant, un espace à la fois historique et ancré dans le quotidien.

Aux portes de la Vallée Sacrée des Incas

La forteresse d’Ollantaytambo se situe au sud-est du Pérou, dans la région de Cusco, plus précisément dans la province d’Urubamba. Elle domine le village du même nom, au cœur de la célèbre Vallée Sacrée des Incas, à une altitude d’environ 2 800 mètres. Le site est bordé par de hautes montagnes et traversé par le fleuve Urubamba, ce qui lui confère une position stratégique tant militaire qu’agricole à l’époque inca. Sa proximité avec d'autres centres majeurs comme Pisac ou Machu Picchu en fait une étape essentielle dans la découverte de l’architecture andine et de son aménagement du territoire.

Terrasses agricoles d’Ollantaytambo

Terrasses agricoles d’Ollantaytambo — Ces structures en gradins, ingénieusement conçues par les Incas, optimisent l’utilisation du terrain montagneux pour la culture, tout en jouant un rôle crucial dans la gestion de l’eau et la prévention de l’érosion. Elles illustrent l’adaptation remarquable des savoir-faire agricoles à l’environnement andin. | © Jorge Chávez Mendoza

Ollantaytambo est facilement accessible depuis la ville de Cusco, distante d’environ 70 kilomètres. Des minibus collectifs (appelés colectivos) partent régulièrement du quartier de Santiago à Cusco, avec un trajet d’environ 1h30. Il est également possible de rejoindre le site en voiture privée ou en taxi. Par ailleurs, la gare ferroviaire d’Ollantaytambo constitue l’un des principaux points de départ vers Machu Picchu, ce qui renforce son attractivité touristique. Pour une visite agréable, il est conseillé de s’y rendre entre mai et septembre, durant la saison sèche, afin d’éviter les fortes pluies. Le site archéologique est ouvert toute l’année, mais l’altitude et l’exposition au soleil nécessitent de bonnes chaussures de marche, une protection solaire et une hydratation régulière.

Ancienne forteresse inca et village vivant, Ollantaytambo attire chaque année de nombreux visiteurs

La cité inca d’Ollantaytambo est organisée autour d’une forteresse et de terrasses agricoles édifiées sur un promontoire rocheux, tandis que le village habité se déploie en contrebas dans la vallée. Cette disposition stratégique illustre l’ingéniosité inca dans l’adaptation au relief et la défense du site. | © Rob & Ghislaine 

Par sa double fonction de bastion militaire et de centre cérémoniel, Ollantaytambo incarne à la fois la puissance de l’Empire inca et la continuité d’une mémoire vivante dans la Vallée Sacrée. La forteresse témoigne d’un savoir-faire architectural remarquable, indissociable d’une vision du monde ancrée dans la nature et le sacré. Aujourd’hui encore, elle fascine par la complexité de ses terrasses, la précision de ses blocs cyclopéens et la beauté de son environnement montagneux. À la croisée du passé et du présent, Ollantaytambo demeure un symbole fort de la résilience culturelle des Andes, attirant chercheurs, pèlerins et visiteurs du monde entier.

Ressources bibliographiques :

  • C-W Mead, “Old civilizations of Inca land”, in American Museum of Natural History, New-York, 1924.
  • Graziano Gasparini and Luize Margolies, Inca architecture, Indiana University Press, 1980.
  • Jean-Pierre Protzen, Inca Architecture and Construction at Ollantaytambo, Oxford University Press, 1993.
  • Lisbet Bengtsson, Prehistoric stonework in the Peruvian Andes: a case study at Ollantaytambo, Etnografiska Museet, 1998.