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Lire plusSur la résistance et la longévité du béton romain de l’Antiquité
Deux millénaires après la construction des édifices de l’Antiquité tels que le Panthéon ou le Colisée, des scientifiques sont enfin parvenus à déceler le secret de la résistance du béton utilisé par les Romains.
Un béton antique doté d’une résistance à toute épreuve
Contrairement aux idées reçues, le béton n’est en rien une invention moderne apparue durant l’industrialisation du ciment au cours du XIXe siècle. Cet agrégat de matériaux minéraux (granulats) mélangés à du ciment, de l’argile ou du bitume, existait même bien avant la civilisation romaine. Avant de maîtriser parfaitement la technique du béton, les architectes de l’Empire romain se sont en fait inspiré des premiers bétons de terre (au liant à base d’argile) employés en Mésopotamie et en Égypte antiques. De nos jours, le talent des bâtisseurs romains est toujours visible et suscite à la fois respect et étonnement. Par exemple, le Panthéon à Rome (inauguré en l’an 128 de l’ère chrétienne) demeure le plus grand dôme de béton de l’histoire jamais réalisé.
L'impressionnant dôme du Panthéon de Rome avec ses 43,30 m de diamètre, vu de l'intérieur. | © Architas
Les bétons de la Rome antique ont donc survécu à des millénaires, mais les connaissances sur leur durabilité sont longtemps restées une énigme. À titre de comparaison, le béton employé dans la construction d’un bâtiment moderne n’est garanti « que » pour une durée de cent ans, avec des clauses suspensives, comme les tremblements de terre dans les zones à risque. En effet, à la différence à leurs homologues modernes, les mortiers et bétons romains antiques ont peu souffert des aléas climatiques, et ce, même situés en zones sismiques et/ou en contact direct avec l'eau de mer. Ainsi, pendant de nombreux siècles et à travers l’ensemble de l’ancien Empire romain, les éléments architecturaux, tels que les murs et les fondations, sans oublier les systèmes d’infrastructure comme les aqueducs, les routes et les ponts, ont été créés à partir d’un béton non armé ultra résistant.
Composé généralement de tuf volcanique et d'autres granulats grossiers (caementa) – 30 % plus légers que les autres roches et absorbant mieux les chocs –, lié par un mortier à base de chaux et de matériaux pouzzolaniques tels que des cendres volcaniques extraites d’une région près de Naples, le ciment romain semble s’adapter à toutes les situations météorologiques possibles. Or ces dernières décennies, la communauté scientifique affirmait que la clé de la durabilité du béton ancien reposait uniquement sur un seul ingrédient, la pouzzolane, sans être pour autant capable de le démontrer. D’où l’intérêt économique et écologique d’en percer définitivement le secret de fabrication en vue de conceptualiser des composites cimentaires durables pour des applications d’ingénierie modernes.
Sur la composition du béton romain
Une étude publiée dans la revue Science Avances source par des chercheurs américains et italiens du Massachusetts Institute of Technology (MIT) fournit de nouvelles informations sur les méthodologies de préparation du mortier romain.
Pour ce faire, les échantillons de mortier romain étudiés au cours de cette expérience ont été prélevés sur les remparts de l'ancienne ville de Privernum, près de Rome, en Italie. Privernum a été occupé du IIe siècle avant l’ère chrétienne jusqu'au XIIIe siècle. Selon l’équipe de chercheurs, les fragments de béton analysés ont l’avantage de partager une composition identique à de nombreux autres sites romains datant de la même période.
Cette résistance du ciment antique à la corrosion s’explique notamment par l’usage d’une chaux particulière, capable de s’activer au contact de l’eau même plusieurs siècles après sa fabrication ! Or, les scientifiques supposaient jusque-là que ces petits cristaux blancs (clastes de chaux) résultaient au contraire d’un mauvais mélange de la texture ou que les matériaux utilisés étaient de piètre qualité.
Un béton antique capable de s’auto-réparer en comblant lui-même les fissures
En recourant à des analyses spectroscopiques, l'équipe du MIT a découvert que le béton romain était directement mélangé avec de la chaux vive. Il s’agit d’une différence de conception fondamentale avec le béton moderne qui présente de multiples avantages selon un communiqué du MIT :
« Les avantages du mélange à chaud sont doubles. Premièrement, lorsque l'ensemble du béton est chauffé à des températures élevées, cela permet des chimies qui ne sont pas possibles si vous n'utilisiez que de la chaux éteinte, produisant des composés associés à haute température qui ne se formeraient pas autrement. Deuxièmement, cette température accrue réduit considérablement les temps de durcissement et de prise, puisque toutes les réactions sont accélérées, ce qui permet une construction beaucoup plus rapide. » source
L’ingéniosité du béton antique réside dans sa composition qui, paradoxalement, va dans un premier temps faciliter l’apparition de fissures. Mais, dans un second temps, l’exposition des fissures aux intempéries fait en sorte que l’eau se sature en calcium lorsqu’elle entre en contact avec les clastes de chaux puis se cristallise sous forme de carbonate de calcium. Une réaction chimique qui renforce plus encore la « cicatrisation » de la fissure.
Les scientifiques chargés de l’étude ont opéré de nombreux tests en laboratoire. Après le coulage, des échantillons de béton à base de chaux vive ont été fracturés mécaniquement avant d’y ajouter de l’eau. Au bout de 30 jours, les fissures ont totalement cicatrisé alors que l’échantillon témoin produit à base de béton moderne est demeuré fissuré.
La science antique au service des constructions du futur ?
Concrètement, les découvertes opérées lors de cette étude ont permis aux chercheurs de développer un mélange cimentaire moderne d'inspiration romaine qui incorpore une méthode de préparation à la chaud permettant notamment une auto-cicatrisation efficace de fissures pouvant mesurer jusqu'à 0,5 mm de large. Une innovation qui pourrait attirer l’attention de nombreux pays victimes de fortes chaleur mais aussi de tremblements de terre comme la Turquie, la Syrie, ainsi que l’Italie.
Il convient toutefois de préciser qu’en termes de composition chimique, le béton moderne parfaitement maitrisé est d’une qualité bien supérieure au béton romain. Cependant, la capacité d’auto-guérison du béton antique, alliée aux conceptions modernes, présenterait un intérêt économique mais également écologique. En effet, à l’échelle mondiale, la production du béton ne représente pas moins de 8 % de l’ensemble des émissions de gaz à effets de serre.
Ainsi, les pratiques anciennes datant de l’Empire romain pourraient servir à l’industrie moderne du béton en lui permettant de développer des formulations plus durables, requérant à la fois moins de matériaux et d’entretien. L’espoir de prolonger la durée de vie du béton contemporain, et donc des édifices du futur, semble à portée de main.
Références bibliographiques :
- Jean-Pierre Adam, Roman Building: Materials and Techniques, Batsford Ltd, 1994.
- John Peter Oleson, The Oxford Handbook of Engineering and Technology in the Classical World (Oxford Handbooks), Oxford University Press, 2009.
- Tony Rook, Roman Building Techniques, Amberley Publishing, 2013.
- Marie D. Jackson, Eric N. Landis, Philip F. Brune, and Anthony R. Ingraffea, "Mechanical resilience and cementitious processes in Imperial Roman architectural mortar", Proceedings of the National Academy of Sciences, Vol. 111, No. 52, 2014.
- David Deming, "The Aqueducts and Water Supply of Ancient Rome." Ground Water, vol. 58, no. 1, 2020, pp. 152–161.