Griselda Records - WWCD (chronique, review, tracklist)

WWCD (“What Would Chine Gun Do”) est le premier album studio collectif Griselda Records, réunissant Westside Gunn, Conway the Machine et Benny the Butcher. Sorti le 29 novembre 2019 sous les labels Griselda Records, Shady Records et Interscope, ce projet rend hommage à Machine Gun Black, demi-frère de Benny, et incarne l’esthétique sombre, cinématographique et rugueuse du collectif. Entièrement produit par Daringer et Beat Butcha, l’album marque leur entrée dans le circuit des majors et scelle leur réputation internationale dans le hip-hop underground.

WWCD (What Would ChineGun Do?), la consécration de Griselda

Avec WWCD, Griselda, le collectif de Buffalo mené par Westside Gunn, Conway The Machine et Benny The Butcher, signe son premier album studio officiel, trois ans après la sortie du EP Don’t Get Scared Now. Fruit d’un long cheminement marqué par une ascension indépendante puis une signature chez Shady Records et Roc Nation, ce disque avait tout d’un test décisif : prouver que la formule Griselda pouvait fonctionner à grande échelle sans perdre son essence. Pari largement relevé.

Avant même d’écouter le premier morceau, le titre WWCD, acronyme de “What Would ChineGun Do?”, donne une clé de lecture essentielle. Il rend hommage à Machine Gun Black, demi-frère de Benny the Butcher et figure influente des débuts de Griselda, tragiquement décédé en 2006. En posant cette question en guise de titre, le collectif affirme sa fidélité aux valeurs fondatrices du crew : loyauté, authenticité, et esprit de rue. ChineGun devient ainsi une boussole morale et artistique, dont l’héritage imprègne chaque ligne, chaque beat, chaque décision du projet.

Ce geste de mémoire s’accompagne d’un autre hommage, tout aussi fort visuellement : la pochette de WWCD affiche en noir et blanc le portrait de Clara “Claire” Gomez, une femme sans-abri emblématique de Buffalo, connue pour sa présence constante dans les rues de la ville. En choisissant de mettre en avant Claire, Griselda rend hommage à une figure locale marginalisée, incarnation brute de la réalité urbaine que le collectif dépeint dans sa musique. Ce choix visuel, loin d’être anecdotique, ancre l’album dans son territoire et dans une vérité sociale souvent ignorée. Claire est décédée tragiquement le 23 mai 2023, fauchée par un véhicule impliqué dans une course-poursuite armée. Westside Gunn a personnellement financé ses funérailles, soulignant le lien affectif entre le collectif et cette « légende de Buffalo » devenue immortelle par l’art.

Dès l’ouverture, “Marchello Intro” installe une dimension solennelle. Raekwon y livre un discours qui sonne comme un passage de flambeau entre le Wu-Tang Clan et ses héritiers de Buffalo, rappelant les sermons donnés lors des concerts cultes du crew. Cette bénédiction donne le ton : Griselda doit prouver qu’elle mérite cette filiation et s’inscrire durablement dans l’histoire du rap hardcore.

Le disque démarre véritablement avec “Chef Dreds”, où les trois MC’s s’enchaînent avec une énergie brute. Les percussions sales et étouffées servent de décor à des images crues : “The bullets as big as Corona bottles”. On retrouve cette mécanique implacable où Gunn, Conway et Benny s’échangent les passes comme sur un terrain de basket, chacun imposant sa couleur : gouaille nasillarde, phrasé chirurgical ou rage bulldozer. Le morceau résume déjà tout l’ADN de Griselda.

“Moselle” ralentit légèrement le tempo, porté par une boucle inquiétante presque sortie d’un dessin animé cauchemardesque. Conway s’y distingue par son rire menaçant, digne héritier de Jadakiss, tandis que Benny assène des punchlines mémorables (“I’m 5’8” but 6’11” when I stand on my bricks”). Westside Gunn, plus flamboyant, ajoute une touche luxe et mode qui contraste avec la noirceur du décor. L’alchimie reste totale. Avec “Cruiser Weight Coke”, l’orgue lugubre renforce le côté religieux et mafieux de l’album. Benny adopte un flow plus posé mais sûr de lui, rappelant ses performances sur The Plugs I Met. Gunn, lui, se lance dans un récit quasi-cinématographique, confirmant la capacité du collectif à marier punchlines et storytelling. Le tout reste sombre, fidèle à leur réputation.

La première respiration arrive avec “Freddie HotSpot”, porté par des touches de piano jazzy. Les trois rappeurs livrent ici des couplets plus introspectifs, où l’on sent la fierté de représenter Buffalo et le poids de ceux restés dans l’ombre. Le morceau, plus feutré, s’impose comme l’un des sommets du projet, preuve que Griselda brille aussi dès qu’elle sort de son cadre habituel. Le single “Dr. Bird’s” condense tout le style du trio : un minimalisme brut, des ad-libs marquants et des références streetwear hilarantes (“Told Virgil write ‘Brick’ on my brick”). Gunn brille par son charisme, Benny par son énergie implacable, Conway par son détachement venimeux. Le titre est devenu un hymne culte de leur discographie, symbole de cette esthétique boom bap dépouillée mais irrésistible.

“The Old Groove” introduit une variation bienvenue. Après des couplets au classicisme Griselda, la présence de Novel amène une touche de groove inattendue, presque soulful. Le contraste entre la rugosité des trois rappeurs et la fluidité de l’invité crée l’une des combinaisons les plus surprenantes de l’album, prouvant que le collectif sait aussi s’ouvrir à d’autres textures sonores. Sur “Scotties”, hommage direct à ChineGun, les voix de Gunn et Conway se relaient comme un duo fraternel, tandis que Benny apporte la puissance de frappe nécessaire. Les références à la mode et au basket se mêlent à l’évocation d’une réussite familiale (“My whole family on, we like the Jacksons”), donnant une chaleur inattendue à un morceau pourtant glacé dans sa production.

“Kennedy”, avec la chanteuse Tiona Deniece, agit comme une interlude étrange : un piano discret accompagne des ad-libs décalés, créant une atmosphère de cabaret mafieux. Moins essentiel sur le plan narratif, il ajoute toutefois une respiration bienvenue dans la tension de l’album. “City On The Map” marque un tournant avec l’arrivée de 50 Cent. Le vétéran du Queens retrouve une énergie proche de ses débuts, alignant un couplet froid et tranchant. Conway, galvanisé, livre une performance plus agressive que d’ordinaire, donnant à ce morceau l’allure d’un véritable hymne de rue, digne d’accompagner un hiver à Buffalo.

Dans “May Store”, la tradition veut que Keisha Plum conclue par un spoken word poétique et vénéneux. Avant cela, le trio livre une performance sombre et martiale, renforcée par des pianos menaçants. L’intervention de Plum, envoûtante, agit comme une signature sonore du collectif, entre élégance et désespoir. L’album se termine d’abord avec “Lowery”, outro au ton plus intime, avant d’offrir en supplément un remix de “Bang” avec Eminem. Si le morceau de clôture souligne le statut de Griselda chez Shady Records, la prestation de Eminem, survoltée mais décalée, divise et tranche avec l’ambiance homogène du reste du projet. Un final inégal qui n’altère toutefois pas la force du manifeste.

En définitive, WWCD est un album dur, cru et homogène, fidèle à l’ADN de Griselda. S’il manque parfois de variété et souffre d’une conclusion maladroite, il impose le collectif de Buffalo comme une référence incontournable du rap contemporain. Plus qu’une nostalgie des années 1990, le disque propose une réécriture moderne du hip-hop de rue, livrée sans compromis. ChineGun aurait, effectivement, de quoi être fier.

Tracklist (liste des titres)