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Lire plus1er Mai au-delà du muguet : histoire et symboles méconnus de la fête du Travail
Chaque année, le 1er Mai est marqué par la fête du Travail et le traditionnel échange de brins de muguet. Mais derrière ces symboles familiers se cache une histoire riche et parfois méconnue. Des origines ouvrières aux coutumes florales, cette journée reflète des siècles de luttes sociales et de traditions populaires. Pourquoi le muguet est-il associé à cette date ? Quels sont les autres symboles oubliés du 1er Mai ? Plus qu’un jour férié, cette célébration s’inscrit dans un cadre historique et sociétal qui mérite une analyse approfondie.
Genèse ouvrière et ancrage international
La Journée internationale des travailleurs, communément appelée « fête du Travail », trouve ses origines dans les luttes ouvrières pour la réduction du temps de travail, notamment à huit heures par jour. C’est lors du congrès fondateur de la IIe Internationale socialiste, le 20 juillet 1889 à Paris, qu’il est décidé d’organiser chaque 1er mai une grande manifestation annuelle, en écho aux événements dramatiques survenus trois ans plus tôt aux États-Unis.
Le 1er mai 1884, les syndicats américains se donnent deux ans pour imposer la journée de huit heures. La date est choisie en raison de son caractère symbolique : elle marque traditionnellement le moving day, jour de renouvellement des contrats de travail et de déménagement dans les villes industrielles. Le 1er mai 1886, la grève générale éclate. Plus de 340 000 ouvriers manifestent pacifiquement dans tout le pays.

Gravure publiée en 1886 dans le journal Harper's Weekly, devenue l’une des représentations les plus diffusées du massacre de Haymarket survenu le 4 mai 1886 à Chicago. Elle met en scène le pasteur méthodiste Samuel Fielden prononçant un discours face à la foule, tandis qu’explose une bombe et que débute la confrontation violente entre manifestants et forces de l’ordre. Cette composition dramatique ne restitue cependant pas fidèlement la chronologie des événements, Fielden ayant en réalité terminé son intervention avant la déflagration. | © Harper's Weekly
Cependant, à Chicago, le 3 mai, la police tire sur les grévistes de l'usine McCormick, faisant six morts. Le lendemain, une bombe explose à Haymarket Square, tuant un policier. Sept autres agents et plusieurs manifestants périssent dans les affrontements qui s’ensuivent. Huit syndicalistes anarchistes sont jugés : trois sont condamnés à perpétuité, cinq à mort. Quatre sont pendus le 11 novembre 1887, malgré l’absence de preuves, et le cinquième se suicide en prison.
Ces tragédies marquent les esprits en Europe. En 1889, à Paris, le congrès socialiste choisit le 1er mai comme jour de mobilisation ouvrière internationale. L’année suivante, de grandes manifestations ont lieu en France, Allemagne, Belgique, Italie et au Royaume-Uni. Le 1er mai 1891, à Fourmies dans le Nord, l’armée française tire sur une manifestation pacifique, causant neuf morts, dont de jeunes ouvriers et ouvrières, ainsi qu'une trentaine de blessés.
La date s’ancre dès lors durablement dans le paysage social français. Le ministère du Travail est créé en 1906, et la journée de huit heures est légalisée en 1919. En 1941, le régime de Vichy institue un 1er mai chômé sans perte de salaire, afin de s’approprier la symbolique ouvrière. Après la Libération, le 26 avril 1946, la République reconnaît officiellement le 1er mai comme jour chômé, puis le 29 avril 1948, il devient jour férié et payé pour tous les salariés français.
La floraison des symboles : du triangle rouge au muguet blanc, entre appropriations et résistances
Le 1er mai n’est pas seulement une journée de revendications sociales : il s’est aussi enrichi au fil du temps d’une iconographie dense, souvent méconnue, mêlant géométrie militante, mémoire tragique et traditions botaniques. En 1890, pour la première « journée internationale des travailleurs » en France, les manifestants arborent un triangle rouge cousu sur la poitrine. Ce symbole simple incarne les revendications phares du mouvement ouvrier : la division équitable de la journée en trois tiers égaux – 8 heures de travail, 8 heures de repos, 8 heures de loisir. Il constitue l’un des premiers marqueurs visuels d’une conscience collective de classe.

En 1890, les manifestants adoptent un triangle de cuir rouge, portant l’inscription « 1er Mai, 8 heures de travail », pour marquer leur engagement. Ce symbole trouve un écho dans la publicité des savons des Trois Huit, qui illustre l’idéal ouvrier : 8 heures de travail, 8 heures de loisir et 8 heures de sommeil. | © Archives Charmet
À partir des années 1890, une autre tradition prend forme : celle de l’églantine rouge, fleur portée à la boutonnière par les manifestants. Elle est investie d’une double portée symbolique. D’une part, elle rend hommage à Marie Blondeau, jeune ouvrière de 20 ans tuée à Fourmies le 1er mai 1891. Si certaines versions rapportent qu’elle portait une robe ornée d’églantines, d’autres indiquent qu’elle tenait un bouquet d’aubépine, fleur printanière courante dans le Nord. Toutefois, c’est bien l’églantine, plus marquante visuellement, qui s’impose comme emblème floral du mouvement ouvrier.
Ce choix s’affirme notamment à partir de 1895, lorsqu’un concours lancé par le socialiste Paul Brousse dans les colonnes de son journal aurait abouti à la désignation de l’églantine écarlate comme symbole du 1er Mai. La fleur, aux teintes évoquant le sang versé lors des luttes sociales, renforce ainsi son ancrage militant. Elle fait également écho à Fabre d’Églantine, figure révolutionnaire associée au calendrier républicain de 1793 et à une première tentative d’instaurer une fête du Travail. L’églantine rouge devient dès lors un marqueur identitaire dans les cortèges socialistes et anarchistes, jusqu’à ce qu’elle soit peu à peu supplantée par le muguet au tournant du XXe siècle, sous l’influence conjointe des couturiers parisiens et de la presse illustrée.

L’églantine rouge, symbole du 1er Mai avant le muguet, incarne la lutte ouvrière et le souvenir des travailleurs tombés lors des revendications sociales du XIXe siècle. | © Pixabay
Cependant, dès le début du XXe siècle, une autre fleur s’impose progressivement : le muguet. Associé depuis le XVIe siècle à la chance et à la joie de vivre – Charles IX ayant inauguré la coutume d’en offrir en 1561 –, le muguet n’a à l’origine aucun lien politique. Mais sa floraison printanière coïncide parfaitement avec la date du 1er mai, ce qui facilite son adoption. En 1907, le muguet fait une apparition remarquée dans les cortèges, au point que la presse de l’époque évoque les « noces du muguet et de l’églantine » lorsque les défilés se déroulent sans heurts. La symbolique évolue à nouveau pendant les grèves du Front populaire en 1936 : les manifestants arborent alors des brins de muguet noués d’un ruban rouge, fusion subtile du bonheur personnel et de la lutte collective.

Chaque année, des milliers de brins de muguet sont vendus dans les rues pour célébrer la fête du Travail. Symbole de bonheur et de porte-bonheur, cette fleur printanière perpétue une coutume ancrée depuis le début du XXe siècle. | © Amandine Crohem
Cette mutation iconographique prend un tournant politique sous le régime de Vichy. En 1941, la « Fête du Travail et de la Concorde sociale » est instaurée : la journée devient officiellement chômée sans perte de salaire, mais elle est également instrumentalisée à des fins de propagande pour exalter le régime du maréchal Pétain. L’églantine rouge, trop liée aux luttes socialistes et à la mémoire ouvrière, est bannie au profit du muguet, jugé plus neutre et rassembleur. Ce choix participe d’un effort de « blanchiment » symbolique de la fête, en rupture avec ses origines contestataires. La date est même associée à la Saint-Philippe, fête du prénom de Pétain, renforçant le culte de sa personnalité dans un climat de mise au pas idéologique. Des dynamiques similaires ont eu lieu ailleurs : Mussolini transforme le 1er mai en Italie fasciste en un instrument de propagande corporatiste, tandis que le Troisième Reich tente d'en faire une « fête nationale du travail allemand », abolissant les syndicats libres.
Une fête universelle à géométrie variable : entre mémoire ouvrière et traditions oubliées
Le 1er mai est aujourd’hui férié dans une grande partie du monde, notamment en Europe, en Afrique et en Amérique latine. En France, Belgique, Allemagne, Italie, Luxembourg, Sénégal, Algérie ou encore à Cuba, il est associé à des manifestations syndicales mais aussi à des fêtes populaires ou à des coutumes printanières, dont certaines sont parfois d’origine ancienne.
Cette universalité connaît toutefois des exceptions notables. Aux États-Unis, au Canada ou en Australie, la fête du Travail est célébrée à d’autres dates. Le « Labor Day », officiellement institué aux États-Unis en 1894, remonte à des initiatives locales comme celle de Peter J. McGuire, cofondateur de l’American Federation of Labor, qui organisa une parade ouvrière à New York le 5 septembre 1882. Le Canada et l’Australie adoptèrent ensuite leurs propres dates, souvent situées au début du printemps dans l’hémisphère sud. Dans un tout autre contexte, la Russie tsariste, puis l’Union soviétique, firent du 1er mai une célébration officielle. Sous le régime soviétique, elle prit une dimension militaro-idéologique spectaculaire, avec défilés massifs sur la place Rouge. Cette tradition s’est maintenue dans plusieurs pays d’Europe de l’Est, même après la chute du communisme.

Dans de nombreux pays, la fête du Travail donne lieu à des rassemblements qui traduisent des réalités sociopolitiques variées. Sur cette photographie, des manifestants à Camagüey, Cuba, participent à une procession encadrée suivant un itinéraire strict. Devant une tribune officielle, ils applaudissent avant de ranger leurs pancartes et reprendre leur quotidien. | © Maxence
En France, des tentatives d’institutionnalisation d’une fête du travail précèdent la décision de 1889. Le calendrier républicain de 1793 prévoyait une « journée du travail » au troisième jour des sans-culottides, dédiée à l'exaltation du travail comme contribution à la nation. Ce projet fut repris par Saint-Just mais abandonné après la chute de la République jacobine. Par ailleurs, dès 1867, le familistère Godin de Guise, expérience sociale fondée par Jean-Baptiste André Godin, célèbre localement une fête du Travail fixée au 5 juin, qui perdure encore aujourd’hui.
Enfin, les symboles floraux accompagnant le 1er mai varient selon les pays. En Allemagne, où les rassemblements ouvriers étaient interdits en 1890, les militants socialistes adoptèrent l’œillet rouge, porté discrètement à la boutonnière pour se reconnaître. Symbole d’amour, de fidélité et de combativité, il est encore arboré aujourd’hui dans plusieurs pays, notamment en Amérique latine et au Portugal, comme marque de solidarité ouvrière.
Le 1er mai, bien plus qu’un jour chômé ou une tradition florale, incarne une mémoire collective aux multiples facettes : combat pour la justice sociale, hommage aux martyrs ouvriers, mais aussi tentative de récupération politique, voire folklorisation. Il unit une histoire mondiale du travail à une mosaïque de traditions locales, de symboles oubliés et de résistances discrètes. Rappeler les églantines rouges, les triangles militants, les œillets clandestins ou encore les muguets tressés de rouge, c’est réancrer cette journée dans son sens premier : celui d’une lutte partagée pour la dignité des travailleurs.