Mumbai est une ville de contrastes extrêmes Mumbai est une ville de contrastes extrêmes, où des gratte-ciel luxueux côtoient des bidonvilles surpeuplés. Plus de 60 % de la population de la ville vit dans des conditions précaires, illustrant les profondes inégalités économiques et sociales. | © Johnny Miller

Les inégalités vues du ciel : L'Œil de Johnny Miller

 

Le photographe américain Johnny Miller utilise une perspective inédite pour révéler les disparités sociales et économiques à travers le monde : les vues aériennes. Son travail offre un regard saisissant sur les frontières invisibles qui séparent les riches des pauvres, mettant en lumière les inégalités urbaines d'une manière poignante et novatrice.

Diplômé en anthropologie, Johnny Miller, né en 1981, s'est d'abord fait connaître en tant que journaliste avant de se consacrer pleinement à la photographie. En 2016, il lance le projet Unequal Scenes, une initiative qui utilise des drones pour capturer des images aériennes illustrant les contrastes saisissants entre les quartiers riches et pauvres dans les grandes villes du monde. Vivant entre l’Afrique du Sud et les États-Unis, Miller a survolé plusieurs pays, immortalisant par la photographie la persistance des inégalités sociales et économiques. Ses travaux, qui abordent des thèmes comme la ségrégation urbaine et l'injustice, ont été largement publiés et exposés à l'international.

Un regard aérien sur la ségrégation

Johnny Miller a débuté son projet en Afrique du Sud, un pays marqué par l'apartheid, une période de ségrégation raciale et économique qui a duré près de 50 ans. Même après la fin officielle de l'apartheid en 1994, les traces de cette période persistent dans le paysage urbain. Les photos de Miller montrent comment des infrastructures telles que les routes, les rivières et les terrains vagues continuent de délimiter les espaces de vie en fonction des classes sociales.

La zone informelle de Makause à Johannesburg

La zone informelle de Makause, située à droite, abrite plus de 30 000 habitants vivant au-dessus d’une ancienne mine d’or. Les mines d’or de Johannesburg, autrefois symboles de richesse, exacerbent désormais les inégalités à travers les dommages environnementaux. | © Johnny Miller

Ces images révèlent des contrastes saisissants : d'un côté, des quartiers riches avec des logements modernes et bien entretenus ; de l'autre, des zones pauvres souvent marquées par la précarité et le manque d'infrastructures (Miller, 2016).

Une exploration globale des inégalités confirmée par les statistiques

Après avoir documenté les disparités en Afrique du Sud, Miller a étendu son travail à d'autres régions du monde, notamment au Kenya, en Tanzanie, au Mexique, en Inde, en Indonésie et aux Philippines. Dans chaque pays, ses images capturent les lignes de fracture économique et sociale qui persistent, souvent liées à des questions d'accès à l'eau , à l'éducation et aux services de santé.

Inégalités extrêmes de richesse dans le quartier de Pondok Indah, au sud de Jakarta

Inégalités extrêmes de richesse dans le quartier de Pondok Indah, au sud de Jakarta. Ce quartier illustre parfaitement le contraste saisissant entre les résidences luxueuses et les zones défavorisées, mettant en lumière les disparités économiques marquées de la capitale indonésienne. | © Johnny Miller

Par exemple, au Kenya, ses photos montrent comment les bidonvilles et les zones d'habitation précaires sont souvent situés en périphérie des villes, entourés de barrières géographiques et économiques qui limitent l'accès des résidents aux opportunités économiques (Miller, 2018).

Inégalités extrêmes de richesse dans le quartier de Loresho, à Nairobi

Inégalités extrêmes de richesse dans le quartier de Loresho, à Nairobi. Ce quartier, autrefois une vaste plantation de café, est aujourd’hui un secteur résidentiel prospère. Il illustre le contraste frappant entre les résidences luxueuses et les zones moins favorisées, mettant en lumière les disparités économiques marquées de la capitale kényane. | © Johnny Miller

Le travail de Miller est soutenu par des statistiques qui soulignent l'ampleur croissante des inégalités à l'échelle mondiale. Selon le Rapport sur les inégalités mondiales (Seuil, 2018), les inégalités économiques ont considérablement augmenté depuis 1980.

La photo la plus célèbre de Johnny Miller illustrant les inégalités au Brésil : Paraisópolis, São Paulo

La photo la plus célèbre de Johnny Miller illustrant les inégalités au Brésil : Paraisópolis, São Paulo. Cette favela, située juste à côté du quartier riche de Morumbi, met en évidence le contraste frappant entre les résidences luxueuses et les habitations précaires, symbolisant les profondes disparités économiques de la plus grande ville du Brésil. | © Johnny Miller

Les 1 % les plus riches de la population mondiale ont capté 27 % de la croissance économique globale, soit deux fois plus que les 50 % les plus pauvres. Ce rapport met en évidence comment les bénéfices de la croissance économique sont de plus en plus concentrés entre les mains d'une minorité, creusant les écarts de richesse et de bien-être (Alvaredo et al., 2018).

L'impact du travail de Miller

Le travail de Johnny Miller ne se contente pas de documenter les inégalités ; il suscite également une réflexion sur les politiques publiques nécessaires pour remédier à ces disparités. Ses photographies servent de témoignages visuels puissants qui peuvent influencer les décideurs politiques, les urbanistes et les citoyens. En mettant en lumière les barrières physiques et sociales qui perpétuent la ségrégation, Miller encourage une prise de conscience accrue et un débat sur les solutions possibles pour créer des villes plus inclusives et équitables.

Les tours de Bonifacio Global City à côté de South Cembo, un barangay de Makati, une grande ville de l’agglomération de Manille aux Philippines

Les tours scintillantes de Bonifacio Global City (BGC) à côté de South Cembo, un barangay (quartier) de Makati, une grande ville de l’agglomération de Manille aux Philippines. BGC est l’un des quartiers les plus riches de Manille, un rêve impossible à atteindre pour les habitants des quartiers voisins à faible revenu comme South Cembo. À Manille, reflet des inégalités socio-économiques et environnementales, les gratte-ciels modernes côtoient des bidonvilles surpeuplés, illustrant le fossé entre richesse et pauvreté. | © Johnny Miller

Les images de Miller ont été publiées dans des magazines internationaux tels que Time Magazine et National Geographic, attirant l’attention de la communauté mondiale sur les inégalités extrêmes créées par nos systèmes économiques et le changement climatique. En utilisant des drones, Miller espère non seulement documenter ces problèmes, mais aussi inspirer des actions durables et un changement social positif.

La zone entourant le complexe Bandra Kurla à Mumbai est un mélange frappant de richesse extrême et de pauvreté extrême

La zone entourant le complexe Bandra Kurla est un mélange frappant de richesse extrême et de pauvreté extrême. On y trouve les consulats généraux de plusieurs pays, des sièges sociaux de grandes entreprises, ainsi que la Bourse nationale de l’Inde. Ce quartier d’affaires central de Mumbai, connu pour ses gratte-ciels modernes, abrite également des infrastructures culturelles comme le Centre culturel Nita Mukesh Ambani et le premier Apple Store en Inde. Cependant, à proximité, des bidonvilles comme Dharavi rappellent les inégalités sociales marquantes de la ville. | © Johnny Miller

En Inde, par exemple, les photos de Miller montrent des contrastes frappants entre les quartiers riches et les bidonvilles de Mumbai. Les hôtels de luxe côtoient des zones où l’accès à l’eau potable et aux services de base est limité. À Mexico, des canaux et des routes séparent les quartiers aisés des zones plus pauvres, illustrant les barrières physiques qui perpétuent les inégalités.

La péninsule sud du Cap, à environ 20 km du centre-ville de Cape Town, montre un contraste frappant entre richesse et pauvreté

La péninsule sud du Cap, à environ 20 km du centre-ville de Cape Town, montre un contraste frappant entre richesse et pauvreté. D’un côté, les banlieues pittoresques comme Noordhoek et Fish Hoek, et de l’autre, Masiphumelele avec ses cabanes en tôle et ses défis sociaux. Entre les deux, les zones humides forment une frontière invisible mais palpable. La communauté de Lake Michelle, entourée d’une clôture électrifiée et accessible par un poste de garde, ajoute à cette dichotomie. | © Johnny Miller

Le travail de Johnny Miller est une invitation à regarder de plus près les inégalités qui nous entourent et à réfléchir aux moyens de les surmonter. Ses photographies aériennes sont un puissant rappel que les disparités économiques et sociales ne sont pas seulement des statistiques, mais des réalités visibles qui affectent des millions de vies à travers le monde.

Références bibliographiques :

  • Unequal Scenes, Exposition, 2016. Site Web de Johnny Miller. URL 
  • Lucas Chancel, Facundo Alvaredo et al., Rapport sur les inégalités mondiales, Seuil, 2018.
  • UN-Habitat. World Cities Report 2020: The Value of Sustainable Urbanization, UN-Habitat, United Nations, 2020, 418 p.
  • « Les plus grands bidonvilles du monde, entre solidarités collectives et répressions étatiques », Atlasocio.com - Atlas Sociologique Mondial, publié le 30/01/2020, consulté le 11 août 2024. URL