L'orchidée fantôme d'Amérique (Dendrophylax lindenii)

 

Cette espèce d’orchidée extrêmement rare pousse exclusivement au sud de la Floride (États-Unis), à Cuba et aux Bahamas. Des scientifiques de plusieurs pays se réunissent afin de sauver cette plante exotique aujourd’hui menacée d’extinction.

Une « orchidée fantôme » découverte à Cuba en 1844

L'« orchidée fantôme » d'Amérique ne doit pas être confondue avec l’Epipogium aphyllum, une orchidée eurasiatique portant le même surnom. Les populations locales des Caraïbes appellent également cette espèce Palm Polly (« palmier polly ») ou White Frog Orchid (« orchidée grenouille blanche »).

Scientifiquement, l’orchidée fantôme se nomme Dendrophylax lindenii. L’épithète lindenii fait référence au collectionneur belge Jean Jules Linden qui a découvert cette plante pour la toute première fois à Cuba en 1844. Ce n’est que bien plus tard qu’on la découvrit dans les Everglades au sud de la Floride (États-Unis), puis dans certaines îles des Bahamas.

Description, répartition, habitat et floraison de l’orchidée fantôme (Dendrophylax lindenii)

Dendrophylax lindenii est une plante allant jusqu’à 50 centimètres de haut et dont la particularité est de produire une très fine tige, au point de croire qu’elle n’en possède pas. Il en va de même de ses bractées noteFeuilles qui accompagne la fleur, non ordinaire par sa taille, sa forme ou sa couleur et située à la base d'un pédoncule de fleur solitaire ou d'inflorescence., minuscules et difficilement visibles. Les fleurs blanches de l’orchidée fantôme mesurent de 3 à 4 centimètres de large et de 7 à 9 centimètres de long. Olfactivement, la Dendrophylax lindenii possède un parfum très fruité ressemblant à une odeur de pomme. On reconnaît aisément cette fleur grâce à son pétale inférieur, le labelle, constitué de deux longues vrilles latérales incurvées vers le bas qui font penser aux pattes postérieures d’une grenouille sauteuse, d’où son surnom de White Frog Orchid (« orchidée grenouille blanche »).

Orchidée fantôme (Dendrophylax lindenii)

Les deux longues vrilles latérales incurvées vers le bas de l'orchidée fantôme font penser aux pattes postérieures d’une grenouille sauteuse, d’où son surnom de White Frog Orchid | ©  NC Orchid.

Autre singularité de la Dendrophylax lindenii, ses racines sont si bien camouflées sur l’arbre auquel elle adhère qu’on peut croire que cette plante flotte littéralement dans les airs, raison pour laquelle on la nomme « orchidée fantôme ».

Orchidée fantôme (Dendrophylax lindenii)

Les orchidées fantômes donnent l'impression qu'elles flottent dans les airs, comme des petits fantômes | © Jeffalanhale.

La Dendrophylax lindenii pousse exclusivement au sein des marais de Floride, de Cuba et des Bahamas. En termes d’habitat, cette orchidée s'épanouit dans un climat chaud et humide, sans être trop exposée à la lumière. Aussi, elle se situe le plus souvent au pied d’un tronc d’arbre mais également sur les branches principales. L’orchidée fantôme semble préférer l’Annona glabra ou « Annone des marais » noteCet arbre est surnommé Cachiman-cochon, Mamain, Mammier ou encore Bois-flot en Guadeloupe et en Martinique., une espèce de petit arbre que l’on trouve au coeur des zones marécageuses des Petites et des Grandes Antilles. Bien que plus rarement, des botanistes ont aussi observé la Dendrophylax lindenii près d’un Fraxinus caroliniana, un frêne originaire de Cuba et du sud-est subtropical des États-Unis. Cependant, en plus d’avoir besoin de s’accrocher à certains arbres, l’orchidée fantôme doit aussi vivre en symbiose avec un champignon, faute de quoi elle ne peut pas se nourrir.

L’orchidée fantôme ne fleurit qu’une fois par an, généralement à peine plus d’une semaine au cours de la période s’étalant des mois de mai à août. En outre, un très faible pourcentage d’orchidées fantômes (entre 5 et 10 % seulement) finit par éclore, allant d’une à deux fleurs par spécimen. Concernant sa reproduction, les botanistes ont longtemps cru que seul le sphinx géant (Cocytius antaeus), un papillon de nuit, était l’unique insecte capable d’opérer sa pollinisation. Mais les dernières recherches démontrent que le principal pollinisateur de l’orchidée fantôme est en réalité un autre papillon, le sphinx du figuier (Pachylia ficus) ; aux côtés d’une douzaine d’autres espèces potentielles de papillons.

Les scientifiques se mobilisent à travers le monde afin de sauver l’orchidée fantôme (Dendrophylax lindenii)

Malheureusement, rareté étant souvent synonyme de convoitise, l’orchidée fantôme est en voie de disparition, en partie à cause d’orchidophiles et de braconniers peu scrupuleux. Car, s’il fut un temps où il était courant de pouvoir l’observer dans les Everglades, les botanistes n’en comptent désormais pas plus de 2000 dans l’ensemble de la Floride. À Cuba, l’orchidée fantôme se fait rare tandis qu’elle a quasiment disparu des Bahamas. Le braconnage est certes le principal responsable de ce désastre écologique, mais d’autres facteurs humains tels que l’urbanisation et la pollution aux pesticides accroissent le risque de la voir totalement disparaître. Juridiquement, la Dendrophylax lindenii est inscrite à l'Annexe II de la CITES et est entièrement protégée par les lois de l'État de Floride, qui interdisent son retrait de la nature.

Des chercheurs de différents pays, passionnés par l’orchidée fantôme, ont décidé de travailler ensemble afin de la sauver d’une extinction définitive. Cependant, les nombreuses conditions nécessaires à la floraison de l’orchidée fantôme complexifient forcément sa culture en laboratoire. Heureusement, les initiatives encourageantes se multiplient, à l’image du jeune chercheur vietnamien Nguyên Huu Hoàng qui a réussi à faire pousser plusieurs centaines de pieds dans une serre durant ses quatre années de thèse à l’Université de Floride, sous la direction du professeur Michael Kane. Dans le cadre de ce projet inédit, plusieurs de ces pieds ont par la suite été transplantés par Kane et ses étudiants dans des forêts de Floride, avec un certain succès. Ainsi, les élèves et les professeurs se relayent pour agrafer contre des troncs d’arbres de petits carrés de toile abritant les précieuses plantes, le tout en prenant bien soin de ne pas abîmer les racines.

Une collaboration binationale a même vu le jour entre des scientifiques américains de l'université de Floride et de l'Illinois College et le chercheur Ernesto Mujica du Centre de recherche ECOVIDA du ministère des sciences cubain. Les hautes technologies des laboratoires des États-Unis combinées aux connaissances/méthodes cubaines ont permis d’identifier dans certaines forêts de Floride plusieurs centaines d’orchidées fantômes, là où les missions précédentes n’en avaient comptabilisé qu’une petite dizaine.

La volonté de ces hommes et de ces femmes amoureux de la nature permettent d’entretenir l’espoir (certes fragile) de sauvegarder l’orchidée fantôme d’une extinction que l’on pensait inévitable il y a de cela une vingtaine d’années.