Marco Polo and Torae - Double Barrel (chronique, review, tracklist)

Double Barrel est un album collaboratif entre le beatmaker canadien Marco Polo et le rappeur américain Torae, sorti le 2 juin 2009 sur le label Duck Down Music.

Ce projet a été précédé par le premier album de Marco Polo, Port Authority (2007), bien accueilli par la critique, ainsi que le premier LP solo de Torae, Daily Conversation (2008), sur lequel Marco Polo a produit trois pistes. En termes de promotion, Double Barrel est précédé par le single de 12 pouces "Double Barrel" (featuring DJ Revolution), avec en face B "Hold Up" mettant en vedette Masta Ace et Sean Price. Les deux artistes se sont rencontrés au studio de Masta Ace pour réaliser un skit sur l'album de eMC, un collectif composé des rappeurs Masta Ace, Wordsworth et Stricklin (Punchline ayant quitté le groupe en octobre 2014). Si Marco Polo n'était initialement pas très enthousiaste à l'idée de collaborer avec Torae, celui-ci l'étant beaucoup plus, les deux passionnés ont par la suite tourné au Canada et en Europe lors de la tournée de Masta Ace et eMC. Devenus de véritables amis, Polo et Torae ont commencé à faire de la musique ensemble, aboutissant à cet album.

Voilà pour le contexte. Concernant l'album, il débute par une introduction de DJ Premier, le producteur qui a contribué à la reconnaissance de Torae, ce qui n'est donc certainement pas un hasard. De plus, cela fait taire les rumeurs selon lesquelles Marco Polo ne serait qu'un beatmaker lambda qui plagierait Primo sans retenue. Au contraire, cette présence de DJ Premier est une marque de respect, tant pour le MC de Brooklyn que pour le beatmaker de l'Ontario.

"Double Barrel", avec les super scratchs de DJ Revolution, est monumental : c'est rappé au millimètre, la production de Marco Polo est un boom-bap de première qualité, tous les ingrédients d'un titre réussi sont là. Marco Polo prouve sa polyvalence sur "Crash The Party", un beat puissant version "tube de club" permettant à Torae de développer un flow brut qui passe crème. "Smoke", avec en invités Lil Fame de M.O.P. et Rock de Heltah Skeltah, ne déroge pas à la règle avec un refrain percutant.

DJ Revolution prête encore ses talents sur le refrain scratché de "Lifetime", et ce, pour notre plus grand plaisir. Le débit de Torae est propre et jongle bien sur le beat, à défaut d'être ultra original (mais on s'en moque un peu personnellement). Et on pourrait dire la même chose pour les deux pistes suivantes "But Wait" (remarquable par un échantillon vocal de Sticky Fingaz d'Onyx) et "Rah Rah Sh*t" (scratches de Shylow) où à aucun moment on ne s'ennuie, le talent narratif de Torae ne pouvant être nié. Si on pouvait reprocher un petit manque de dynamisme sur Daily Conversation, on peut être sûr que Torae a écouté les critiques avec un "Danger" qui vous fait littéralement sauter au plafond. Une production de Marco Polo, très NYC façon DJ Premier, qui aurait eu toute sa place dans les années 1990 (sans aucune connotation péjorative, bien au contraire). "Stomp" (featuring Guilty Simpson) est dans le même registre, Torae ayant gagné en agressivité savamment dosée qui fait penser à du M.O.P., du Onyx ou du Screwball, impossible de s'endormir.

La tension redescend (mais pas le niveau) avec un "Coney Island" qui fait un joli clin d'œil au quartier dont Torae est natif. "Word Play" est plaisant au possible, Torae faisant d'ailleurs preuve d'une certaine prise de risque avec un flow vivant et varié qui ne colle plus du tout à la caisse claire comme sur ses projets précédents, une très bonne maîtrise. C'est le titre le mieux posé de l'album, selon mon avis personnel. "Hold Up" (featuring Masta Ace et Sean Price), agrémenté des scratches de DJ Linx, est du Marco Polo fortement inspiré par du DJ Premier. Il ne s'en cache pas d'ailleurs dans ses interviews récentes : Double Barrel c'est du Primo des années 1990 au meilleur de sa forme. "Get It" est l'incarnation pure d'un boom-bap poussiéreux dont Polo a le secret. Torae s'en fait naturellement une joie de nous pondre des couplets et un refrain bien travaillés.

Double Barrel est enrichi de deux bonus tracks. Le premier, "Crashing Down" (featuring Saukrates et S-Roc), fait penser à du Jay-Z des débuts avec un refrain très R&B. Enfin, "Combat Drills" a bien fait d'être ajouté. C'est limite du hardcore rap par sa puissance. Torae est littéralement déchaîné et fume le beat. On remarque instantanément que ce style de boom-bap, à la limite de M.O.P. et d'Onyx, convient idéalement au MC de Brooklyn.

Pour conclure, il s'agit d'un opus où se côtoient refrains expertement scratchés, beats ultra lourds et rimes percutantes. Les instrumentales boom-bap font mouche et Torae a depuis ses débuts gagné en puissance et est par conséquent plus convaincant. Les plus réfractaires diront que cet album sonne un peu trop East Coast Rap des années 1990, mais ça fait tellement de bien à côté de ce qui sort à l'heure actuelle ! Double Barrel confirme un Marco Polo, capable de créer différentes ambiances et vibes sans pour autant innover, à qui l'avenir ouvre grand ses bras. Torae est un rappeur qui repousse sans cesse ses limites. On peut également dire qu'il a désormais passé un nouveau cap en tant que lyriciste, on se laisse facilement prendre à écouter ses histoires. Les points faibles sont donc difficiles à trouver sur Double Barrel, il est fait par des passionnés et pour des passionnés, et n'obtiendra certainement jamais l'approbation du plus grand nombre, commercialement parlant.

Tracklist (liste des titres)