Le Point Némo : L’endroit le plus reculé du globe terrestre

 

Le « point Némo » est un terme qui désigne l’endroit le plus éloigné de toute terre émergée sur Terre. Situé dans l'océan Pacifique Sud, ce point est officiellement connu sous le nom de « pôle d’inaccessibilité océanique ». Bien que cette notion puisse sembler abstraite, elle est bien définie et a des implications tant géographiques que culturelles.

Où se trouve le point némo ?

Le point Némo est situé à environ 2 688 kilomètres de toute terre émergée, aux coordonnées 48°52.6′S 123°23.6′W. L’antipode exact de ce point, c’est-à-dire le lieu diamétralement opposé sur le globe, se trouve dans la région d’Aktobe, à l’ouest du Kazakhstan, à proximité de la ville de Shubarkuduk.

Cette région du Pacifique Sud est dépourvue de toute vie humaine directe. Les terres les plus proches sont trois îles isolées : Ducie, un atoll de l’archipel des Pitcairn, Motu Nui, près de l’île de Pâques, et Maher, une petite île de l’Antarctique. Au-delà de cette proximité relative, les terres les plus proches incluent l'île Chatham en Nouvelle-Zélande, située à environ 4 000 kilomètres à l’ouest, et les îles longeant la côte sud du Chili, à quelque 3 400 kilomètres à l’est.

Localisation du point Némo par rapport aux trois terres émergées les plus proches.

Localisation du point Némo par rapport aux trois terres émergées les plus proches. | © Wikimedia Commons

Fait surprenant, les humains les plus proches du point Némo sont souvent les occupants de la Station spatiale internationale (ISS). Cette dernière qui orbite à une altitude comprise entre 330 et 410 kilomètres au-dessus de la Terre, tandis que la première terre habitée se trouve à environ 2 700 kilomètres de ce point !

Le point Némo a été calculé pour la première fois en 1992 par l'ingénieur croate Hrvoje Lukatela, grâce à un logiciel informatique permettant de déterminer la position la plus éloignée de toute terre émergée. Le nom « Némo » fait référence au célèbre capitaine Nemo, personnage du roman Vingt Mille Lieues sous les mers de Jules Verne (1828-1905).

Caractéristiques scientifiques du point Némo

Le point Némo se trouve au centre du gyre de l'océan Pacifique Sud, le plus vaste gyre océanique de la planète. Ce gyre est une immense région caractérisée par une lente rotation des courants marins, provoquée par les vents et la rotation de la Terre, qui piège les débris flottants. Cette zone est particulièrement pauvre en nutriments, ce qui en fait un véritable « désert » biologique, en raison de plusieurs facteurs :

  • Circulation des courants : Dans les gyres, les courants de surface tendent à s'écarter du centre, créant une zone de haute pression où l'eau descend au lieu de remonter. Ce phénomène empêche les nutriments des profondeurs de rejoindre la surface.
  • Transport d’Ekman : Causé par la rotation terrestre, ce processus pousse l'eau de surface vers l'extérieur du gyre, réduisant encore davantage l'apport en nutriments essentiels pour la vie marine.
Chaque point bleu indique un pôle océanique d'inaccessibilité. Les isolignes fines sont espacées de 250 km et les lignes épaisses de 1 000 km

Chaque point bleu indique un pôle océanique d'inaccessibilité. Les isolignes fines sont espacées de 250 km et les lignes épaisses de 1 000 km. | ©  Gaianauta.

Les gyres jouent néanmoins un rôle crucial dans le transport des nutriments et des déchets à travers les océans. Bien que ces nutriments puissent être transportés sur de longues distances par les courants marins, ils ne se concentrent pas au centre des gyres, là où ils seraient le plus nécessaires pour soutenir la vie.

En raison de son isolement, le point Némo est très rarement visité par des navires, et même les satellites ne passent que rarement au-dessus de cette région. Pourtant, ce lieu revêt une importance stratégique pour les agences spatiales, qui l'utilisent comme zone de dépôt pour les déchets spatiaux. Son extrême éloignement et l'absence de population en font un emplacement idéal pour la désorbitation sécurisée de satellites désuets et d'engins spatiaux hors d'usage.

Références culturelles relatives au point Némo

Le point Némo a suscité un grand intérêt non seulement pour son aspect géographique unique, mais aussi pour les mystères qu'il évoque. En 1997, la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) a détecté près du point Némo un son mystérieux nommé « Bloop ». À sa découverte, le Bloop a été initialement considéré comme le bruit potentiel d’un gigantesque animal marin inconnu car sa fréquence et son amplitude rappelaient des sons produits par les baleines. Cependant, des analyses ultérieures ont permis d’éliminer l’hypothèse d’un animal marin. En 2003, les scientifiques ont suggéré que le Bloop pourrait être lié à des phénomènes sismiques ou glaciaires. Plus précisément, l'hypothèse la plus largement acceptée est que le son pourrait provenir de la fracture et du déplacement de grandes masses de glace, comme des icebergs se détachant des calottes glaciaires.

Toujours est-il que ce lieu singulier a inspiré de nombreuses œuvres de fiction, renforçant son statut de symbole de l’isolement absolu. Le point Némo est fréquemment mentionné dans la culture populaire, notamment dans des œuvres littéraires et cinématographiques, où il est perçu comme un lieu de mystère et d’aventure.

Page de garde de la première édition de Vingt Mille Lieues sous les Mers par Jules Verne, publiée en 1871

Page de garde de la première édition de Vingt Mille Lieues sous les Mers par Jules Verne, publiée en 1871. | © Edouard Riou (1833-1900)

Le point Némo a également été une source d'inspiration pour de nombreux artistes et auteurs. H. P. Lovecraft a imaginé la ville fictive de R'lyeh près du point Némo dans sa nouvelle L'Appel de Cthulhu publiée en 1928, tandis qu’August Derleth a situé cette même ville dans sa nouvelle The Black Island en 1952. En 2010, le groupe musical Gorillaz a situé l'île de Plastic Beach au point Némo dans leur univers fictif.

Plus récemment, Jean-Marie Blas de Roblès a utilisé le point Némo comme cadre dans son roman L'Île du Point Némo (2014). En 2016, l’artiste Laurent Le Deunff a organisé une exposition au Musée d'Art Moderne de Paris en utilisant des coordonnées légèrement différentes de celles du point Némo. En 2018, Jeanne Frenkel a employé le point Némo comme métaphore dans sa pièce de théâtre Point Némo. De plus, des artistes comme Côme, Renan Luce, et Melan ont fait référence au point Némo dans leurs œuvres musicales entre 2018 et 2019. Ainsi, le point Némo continue d’inspirer et de fasciner à travers diverses formes d’art et de littérature, devenant un véritable symbole de l’isolement et de l’aventure.

Point Némo, un environnement isolé mais impacté par l'activité humaine

Malgré son isolement apparent, le point Némo n'échappe pas aux impacts de l'activité humaine. Le gyre du Pacifique Sud, dans lequel il se situe, accumule une grande quantité de débris plastiques, formant ce que l’on appelle le « Vortex de déchets du Pacifique Sud ». Bien que moins connu que la grande zone de déchets du Pacifique Nord, ce phénomène souligne la portée mondiale de la pollution océanique.

De plus, comme mentionné précédemment, l’éloignement extrême du point Némo en fait un lieu privilégié pour la désorbitation sécurisée de satellites et d'engins spatiaux en fin de vie, raison pour laquelle il est souvent surnommé le « cimetière des vaisseaux spatiaux ».

Après analyse, jusqu'à 26 particules de microplastiques par mètre cube ont été trouvées dans l'eau du Point Némo.

Après analyse, jusqu'à 26 particules de microplastiques par mètre cube ont été trouvées dans l'eau du Point Némo.. | © DR.

L’étude de ces zones inaccessibles est cruciale pour comprendre l’impact de l’homme sur les océans. Les scientifiques prélèvent souvent des échantillons dans ces régions pour analyser les effets de la pollution sur les écosystèmes marins les plus isolés.

Le point Némo est bien plus qu’une curiosité géographique. Il représente l’un des derniers véritables lieux d’isolement sur Terre, tout en étant paradoxalement un témoin silencieux de l’ampleur de l'influence humaine sur les océans. Son emplacement reculé, son importance pour la recherche scientifique et son rôle dans la culture populaire en font un sujet fascinant à la croisée de la géographie, de l'écologie et de la science-fiction.

Références bibliographiques :

  • Jules Verne, Vingt Mille Lieues sous les mers, Éditions Hetzel, 1870.
  • National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), "The Bloop: A Mysterious Sound from the Deep Ocean", 1997.
  • Daniel Garcia-Castellanos and Umberto Lombardo, "Poles of inaccessibility: A calculation algorithm for the remotest places on Earth", Scottish Geographical Journal, vol. 123, no. 3, Sept. 2007, pp. 227-233.
  • Eriksen, Marcus, et al. "Plastic Pollution in the South Pacific Subtropical Gyre." Marine Pollution Bulletin, vol. 68, no. 1-2, 2013, pp. 71-76.
  • Philip R. Dando and Julian M. Roberts, "Remote Sensing of the Marine Environment: Challenges and Opportunities in the Galapagos Islands of Ecuador", The Galapagos Marine Reserve: Social and Ecological Interactions in the Galapagos Islands, 1st ed., Springer Science, 2014, pp. 109-136.
  • Tan, Arjun, "Determining the Areas and Geographical Centers of the Pacific Ocean and Its Northern and Southern Halves", International Journal of Oceans and Oceanography, Research India Publications, vol. 15, no. 1, 2021, pp. 25-31.
  • Rees, Gareth, et al. "Finding Antarctica’s Pole of Inaccessibility." Polar Record, vol. 57, 2021, e40.