Cappadonna et le Wu-Tang Clan : Une histoire d’occasions manquées et de rédemption © DR

Big L : Au-delà de la légende - Les dessous troublants d'une mort mystérieuse

 

Big L, dont la carrière fulgurante a été tragiquement interrompue par un assassinat non résolu à l’âge de 24 ans, demeure un pilier incontesté du son East Coast. Malgré la sortie d’un seul album de son vivant, son influence perdure. Même si sa période de gloire a été brève, sa légende n’en est que plus impressionnante. Alimentée par son talent indéniable et les circonstances troublantes et énigmatiques de sa mort, elle continue de fasciner et d’intriguer.

Les débuts prometteurs et les défis de Big L dans l'industrie du rap

En début de carrière, Big L (1974-1999), de son vrai nom Lamont Coleman, a posé les bases de sa carrière en enregistrant diverses démos. Très vite, il se taille une réputation en invitant d’autres MC’s à le défier en bas des blocks dans des battles rap pouvant voir le gagnant remporter plus de mille dollars. En général, le vainqueur s’appelle Big L. D’ailleurs, c’est en gagnant un tournoi rassemblant plus de deux mille rappeurs que Columbia le repérera. Son talent remarquable attire l'attention de Columbia Records, avec qui il signe un contrat en 1992, et il rejoint également le collectif de hip-hop de Lord Finesse, Diggin' in the Crates Crew, où figurent Diamond D, Showbiz, Buckwild, Fat Joe ou encore A.G.

En 1993, Big L franchit une étape importante en sortant son premier single promotionnel, Devil's Son. Passionné de films d’horreurs depuis tout petit, sanguin et déjà connu localement comme quelqu'un qui ne souriait jamais, Big L se décrit lui-même comme le fils du diable. La chanson, connue pour ses paroles explicites et son thème sombre, contribue à établir la réputation du MC de Harlem en tant que rappeur hardcore. Il forme un peu plus tard le groupe de rap Children of the Corn avec des artistes émergents tels que Killa Cam (Cam'ron), Murda Mase (Ma$e), Bloodshed et McGruff. Son premier album studio, Lifestylez ov da Poor & Dangerous, qui intègre même des titres issus de ses toutes premières démos, voit le jour en mars 1995 et est bien accueilli par la critique, avec trois singles sortis.

Lamont Coleman (Big L) et son demi-frère Leroy Larry Phinazee (Big Lee), les deux cofondateurs du label Flamboyant Entertainment

Lamont Coleman (Big L) et son demi-frère Leroy Larry Phinazee (Big Lee), les deux cofondateurs du label Flamboyant Entertainment. | © DR

Cependant, en 1996, Big L est confronté à des défis lorsque Columbia Records met fin à leur collaboration principalement en raison de divergences artistiques. Malgré ces revers, Big L reste déterminé et commence à travailler sur son deuxième album studio, The Big Picture. Malheureusement, son groupe COC cesse ses activités suite au décès de Bloodshed dans un accident de voiture à New York le 2 mars 1997. En fin d'année 1997, Big L continue à persévérer et à faire sa place dans le monde du hip-hop en apparaissant notamment sur le single "Dangerous" du deuxième album d'O.C., Jewelz.

En 1998, il prend les choses en main en cofondant avec son demi-frère Leroy (Big Lee) le label indépendant, Flamboyant Entertainment. Cette même année, Big L sort le single "Ebonics", qui suscite un vif intérêt et est salué comme l'un des meilleurs singles indépendants de l'année. Son talent attire l'attention de Damon Dash, PDG de Roc-A-Fella Records, qui lui propose de signer avec le label. Cependant, Big L souhaite également que son groupe soit inclus dans l'accord, ce qui entraîne des négociations complexes et des discussions sur l'avenir de sa carrière. Le 8 février 1999, Coleman, Herb McGruff, C-Town et Jay-Z entament le processus pour signer avec Roc-A-Fella en tant que groupe appelé The Wolfpack.

L'énigme de la mort de Big L : Une affaire jamais résolue

Le 15 février 1999, Big L est tragiquement abattu à l'âge de 24 ans lors d'une fusillade en voiture sur la 45 West 139th Street (connue sous le nom de "The Danger Zone") dans son Harlem natal, non loin de son domicile. Touché à neuf reprises, principalement au visage et à la poitrine, sa mort a profondément choqué la communauté du hip-hop. Trois mois plus tard, Gerard Woodley, un ami d'enfance de Coleman, est appréhendé pour le crime. « Il est fort probable que ce soit une vengeance pour quelque chose que le frère de Big L a fait, ou que Woodley croyait qu'il avait fait », déclare à l'époque un porte-parole du département de police de New York source . Mais, en raison d'un manque de preuves tangibles, il est libéré, laissant ainsi l'affaire non résolue et des questions en suspens.

Big L à l'extrême gauche et son assassin présummé Gerard Woodley à l'extrême droite

Big L à l'extrême gauche et son assassin présummé Gerard Woodley à l'extrême droite. | © DR

Aussi, dans l'imaginaire collectif, beaucoup de fans n'ont retenu que les informations judiciaires reprises par la presse tout de suite après la disparition de Big L, à savoir que le MC de Harlem aurait été tué car confondu avec son frère aîné. Par la suite, les circonstances exactes de la mort de Big L ont donné lieu à diverses théories et spéculations. Selon certaines sources, l'incident aurait été motivé par un acte de vengeance lié aux activités du demi-frère de Big L, Leroy Larry Phinazee, également connu sous le nom de « Big Lee » (Lamont était quant à lui surnommé « Little L » et « Mont-Mont » durant son enfance), ou du moins perçu comme tel par Woodley. Cette version des événements laisse à de nombreuses questions en suspend sur les véritables motifs derrière cette tragédie et sur la complexité des relations dans les milieux urbains.

Les principaux protagonistes de l'histoire décèdent à leur tour

En mars 2002, Leroy Larry Phinazee est assassiné dans les mêmes rues que Big L, lui qui cherchait à découvrir qui avait tué son frère trois ans plus tôt. Cependant, l'assassin de Leroy a rapidement été appréhendé et condamné à 36 ans d'emprisonnement. Le 10 février 2008, Gilda « Pinky » Terry, la mère de Donald (Don Ice) et Leroy Phinazee (Big Lee) et de Lamont Coleman (Big L), décède.

Gilda Pinky Terry (décédée en 2008), entourée de ses trois fils Donald Phinazee (Don Ice), Leroy Phinazee (Big Lee) et Lamont Coleman (Big L), décède

Gilda "Pinky" Terry (décédée en 2008), entourée de ses trois fils Donald Phinazee (Don Ice), Leroy Phinazee (Big Lee) et Lamont Coleman (Big L), décède. | © DR

Le 24 juin 2016, Woodley lui-même est mortellement blessé à la tête dans des circonstances tout aussi troubles source . La police de New York avait mis en cause Woodley dans quatre autres homicides, tous classés sans suite pour manque de preuve. Bien que des liens apparents entre ces deux événements aient été suggérés, la famille de Woodley maintient toutefois son innocence dans le meurtre de Coleman (alias Big L) et l'affaire reste non élucidée. Le mystère entourant la mort de Big L alimente ainsi les rumeurs persistantes sur les véritables responsables. Le rappeur Cam'ron, qui était un ami proche de Coleman et de Woodley, laisse entendre que Big L ne serait pas non plus totalement étrangé aux différentes embrouilles de son demi-frère Leroy Phinazee, a publié une vidéo sur Instagram source  affirmant même que Coleman avait tenté de tuer Woodley une semaine avant sa mort  :

“1-3-9 Park, we started off as children
Grew up with Big L, and the dude who supposedly killed him
A week before that, though, Big L tried to kill him
What was he to do? Please don’t get any feelings
When the time’s right I will tell you about these villains
Now everybody dead, so it ain’t about squealing.” source 

En 2017, une nouvelle perspective sur l'affaire émerge avec la publication de Ethylene: The Rise and Fall of The 139th St. NFL Crew par Lou Black, cousin de Gerard Woodley. Le livre détaille les interactions de première main de Black avec le gang NFL et Big L. Dans cet ouvrage, Black affirme que Leroy Phinazee, le demi-frère aîné de Coleman et leader du crew NFL, a violé sa liberté conditionnelle lorsqu'il a été trouvé en possession d'une arme illégale et a été incarcéré en 1998. Selon Black, pendant son séjour en prison, Phinazee a rencontré et engagé un tueur à gages de Brooklyn pour assassiner trois membres de l'équipe NFL, dont Woodley.

L'ouvrage Ethylene: The Rise and Fall of The 139th St. NFL Crew, écrit par Lou Black, cousin de Gerard Woodley

L'ouvrage Ethylene: The Rise and Fall of The 139th St. NFL Crew, écrit par Lou Black, cousin de Gerard Woodley, décrit la violence du Harlem des années 1990 et apporte beaucoup de lumière sur les sombres circonstances qui ont conduit au décès de Big L. | © DR

Pour mettre son plan à execution, Phinazee aurait chargé Big L d'identifier les cibles pour le tueur à gages. Le jour où le meurtre était prévu, Woodley a remarqué que le tueur à gages le suivait et a réussi à l'effrayer (Woodley n'était pas du genre à sortir sans calibre). Or, comme Big L avait été vu à plusieurs reprises avec le prétendu tueur à gages quelques jours auparavant, Woodley a supposé que Big L avait participé à la tentative de meurtre, jetant ainsi une lumière nouvelle sur une affaire qui continue de hanter la mémoire de la communauté hip-hop. Environ une semaine après la tentative de meurtre sur Woodley, Big L est tué. Black n'a pas précisé si Woodley avait personnellement tué Big L. Mystère.

Big L est inhumé au George Washington Memorial Park de Paramus, dans le New Jersey

Big L est inhumé au George Washington Memorial Park de Paramus, dans le New Jersey. Son demi-frère, Leroy Larry Phinazee, qui a été assassiné trois ans plus tard, repose également en ce même lieu. | © DR

Ainsi, malgré les années écoulées depuis la disparition de Big L, le mystère entourant sa mort reste entier, laissant derrière lui une légende du hip-hop dont le destin demeure marqué par l'incertitude et la controverse.