Cuisine de rue à la Rome antique Cuisine de rue à la Rome antique : Illustration générée par IA d'un marché alimentaire romain, mettant en évidence la diversité culinaire offerte aux habitants de l'époque. | © DR

Les thermopolia : Les précurseurs de la restauration rapide dans la Rome antique

 

La Rome antique, connue pour son ingénierie avancée et sa culture riche, recèle des éléments de la vie quotidienne qui résonnent encore avec notre époque moderne. Parmi ces aspects, les thermopolia se distinguent comme les précurseurs de la restauration rapide. Ces établissements, omniprésents dans les villes romaines, servaient des repas chauds aux habitants, notamment à ceux qui n’avaient pas de cuisine dans leurs logements modestes. Les fouilles archéologiques, en particulier à Pompéi, offrent une fenêtre fascinante sur le rôle central de ces lieux dans la vie urbaine antique.

Description des thermopolia

Un thermopolium (pluriel : thermopolia) était un stand de nourriture ou une petite boutique ouverte directement sur la rue. Le terme, dérivé du grec ancien thermopōlion, peut être littéralement traduit par « un lieu où (quelque chose) de chaud est vendu » (thermos signifiant « chaud » et poleo « vendre »), soulignant leur fonction de cook-shop ou de vente de plats chauds. Ces établissements étaient également appelés popinae, cauponae, hospitia ou stabula dans la littérature latine, bien que les archéologues regroupent tous ces termes sous l'appellation thermopolia.

Comptoir en L d’un thermopolium de Pompéi

Comptoir en L d’un thermopolium de Pompéi, équipé de dolia insérés dans ses bras, destiné au stockage en vrac des denrées alimentaires. | © The Consortium

Ces structures comportaient généralement un comptoir en forme de L en pierre muni de trous circulaires, dans lesquels étaient insérés des dolia (grands récipients en terre cuite). Ces pots servaient à stocker des aliments prêts à consommer, souvent servis chauds, mais également des denrées sèches telles que des fruits à coque. Par exemple, un dolium retrouvé dans le thermopolium attaché à la Maison de Neptune et Amphitrite à Herculanum contenait les restes carbonisés de noix. Dans les établissements plus élaborés, ces comptoirs en maçonnerie étaient parfois ornés de fresques, une pratique qui combinait art et publicité. Ces fresques représentaient des scènes mythologiques, religieuses ou de la vie quotidienne, mais servaient également à indiquer les produits vendus, comme du poisson, de la volaille ou des pâtisseries, attirant ainsi l’attention des clients.

L’arrière de ces boutiques abritait parfois un petit poêle permettant de réchauffer les plats. Les clients, souvent issus des classes populaires ou des voyageurs de passage, s’arrêtaient pour commander rapidement. Les aliments proposés allaient de plats simples comme les légumineuses et les céréales, aux préparations plus élaborées accompagnées de viande, de poisson ou de sauces. Certains thermopolia, comme celui de la Maison des Voûtes Peintes dans la cité antique d'Ostie, étaient construits en tant qu'annexes de maisons privées, bien qu'ils ne soient pas accessibles depuis celles-ci, renforçant leur fonction purement commerciale.

Une solution pour les citadins modestes

La popularité des thermopolia s’explique par les conditions de vie des citadins romains. Les immeubles de location (insulae), où vivait une grande partie de la population urbaine, ne disposaient souvent pas de cuisines fonctionnelles. Par conséquent, ces établissements représentaient une alternative pratique pour se nourrir. Ils offraient des services de restauration et de boisson à une clientèle variée : locataires, sous-locataires, voyageurs, étrangers et marginaux. Une inscription retrouvée à Pompéi témoigne de pratiques tarifaires accessibles : un as pour du vin ordinaire, deux pour un vin de meilleure qualité, et quatre pour du falerne, un cru très réputé.

Fresque provenant du thermopolium de Lucius Vetutius Placidus à Pompéi

Fresque provenant du thermopolium de Lucius Vetutius Placidus à Pompéi, représentant l’esprit (genius) de la maison central, flanqué des Lares et des Penates, avec Mercure à gauche et Bacchus à droite. | © Daniele Florio

Cependant, cette diversité de clientèle leur conférait une réputation mitigée. Certains auteurs antiques, comme Plaute, dénonçaient les fréquentations des thermopolia, évoquant les « Grecs en manteau » et les « esclaves voleurs » qui venaient s’y enivrer avec le produit de leurs rapines. Les classes supérieures voyaient souvent ces lieux comme des foyers de comportements douteux ou d’activités illicites. Les empereurs eux-mêmes tentèrent à plusieurs reprises de réguler leur fonctionnement : Caligula les fit fermer lors du deuil de sa sœur et exécuta un tenancier qui avait contrevenu à son interdiction de vendre de l’eau chaude. Claude, dans une tentative de moraliser les habitudes de la population, interdit temporairement la vente de plats cuisinés et d’eau chaude, tandis que Néron limita cette vente aux seuls légumes et plantes potagères. Toutefois, l’efficacité de ces mesures reste incertaine.

Les thermopolia et la cuisine de rue dans l'Antiquité

Outre les thermopolia, d’autres formes de restauration rapide existaient dans la Rome antique, notamment grâce aux lixae. Ces vendeurs ambulants, courants dans les rues et les marchés, proposaient des collations simples et rapides à consommer, telles que des galettes ou des préparations proches des sandwichs modernes, souvent garnies de viande ou de saucisses. Leur rôle, essentiel pour les citadins sans accès à une cuisine à domicile, s’étendait parfois à l’approvisionnement des soldats en campagne, notamment en viande cuite. Dans la littérature, les lixae sont parfois associés aux mercatores et negotiatores, soulignant leur place ambiguë entre petits commerçants et vivandiers dans la logistique alimentaire de la société romaine.

Exemples des types d’aliments trouvés dans les thermopolia de Pompéi

Exemples des types d’aliments trouvés dans les thermopolia de Pompéi. | © Farrell Monaco / BBC

Les cauponae possédaient également des thermopolium en leur sein

Les cauponae possédaient également des thermopolium en leur sein, mais, à la différence de ces derniers qui se limitaient à offrir de la nourriture et des boissons à emporter, la caupona jouait également un rôle d’auberge. | © reconstitution de Romanorum vita

Les fouilles de Pompéi ont permis de confirmer la variété des mets servis dans les thermopolia. Par exemple, des restes alimentaires, tels que des os de poisson, des coquillages, des noyaux d’olives, et même des fragments de viande, ont été retrouvés dans les dolia. Ces découvertes témoignent d’une offre culinaire diversifiée, adaptée aux goûts et aux moyens des clients, et soulignent l’importance de la cuisine de rue dans le paysage gastronomique romain.

Découvertes archéologiques majeures des thermopolia à Pompéi

Pompéi, ensevelie en 79 apr. J.-C. par l’éruption du Vésuve, constitue un témoignage exceptionnel de la vie romaine. Les nombreux thermopolia découverts dans cette ville offrent des indices précieux sur leur organisation et leur fonctionnement. On estime que la cité comptait au moins 80 de ces établissements, ce qui illustre leur rôle central dans la vie quotidienne des habitants.

En 2020, un thermopolium remarquablement bien conservé a été mis au jour dans la Regio V de Pompéi. Ce site, comportant huit dolia, a révélé des fresques décoratives représentant notamment un coq et un canard, probablement en lien avec les plats proposés. Une fresque d’un chien avec un collier, peut-être un rappel pour les clients de tenir leurs animaux en laisse, y a également été découverte. Des résidus alimentaires, tels que des restes de nourriture dans des pots en terre cuite, et le squelette d’un chien de petite taille, témoignent des pratiques alimentaires et des sélections animales à l’époque romaine.

Ce thermopolium, mis au jour en 2020, se trouve dans un état de conservation remarquable

Découvert dans un secteur animé de l’ancienne ville de Pompéi, à l’intersection de deux rues fréquentées, ce thermopolium, mis au jour en 2020, se trouve dans un état de conservation remarquable. | © Archaeological Park of Pompeii

Par ailleurs, le célèbre thermopolium d’Asellina, situé dans la Regio IX et découvert bien avant, est l’un des exemples les plus complets retrouvés à Pompéi. Des amphores, des gobelets, une petite chaudière contenant encore de l’eau, ainsi que des restes de meubles pour stocker des denrées y ont été découverts. L’étage supérieur comprenait des chambres, ce qui suggère que l’établissement pouvait également servir d’auberge ou de logement pour les visiteurs. Avec sa configuration typique, son rôle commercial et ses sanctuaires dédiés à des divinités comme Mercure et Bacchus, ce site illustre parfaitement l’importance économique et religieuse des thermopolia.

Un autre thermopolium, celui de Lucius Vetutius Placidus, se distingue par son état de conservation et son lararium (sanctuaire domestique) orné de fresques. En plus d’être un lieu de restauration, il servait également de point d’accès à la maison du propriétaire et comportait un triclinio décoré, ce qui témoigne d’une organisation sophistiquée et d’une dimension religieuse associée à ces établissements.

Reconstruction du thermopolium découvert dans la Région V de Pompéi

Reconstruction du thermopolium découvert dans la Région V de Pompéi, tel qu'il pouvait apparaître en 79 apr. J.-C. | © DR

Les thermopolia, véritables précurseurs de la restauration rapide, témoignent de l’ingéniosité des Romains pour répondre aux besoins de leur société urbaine. Ces établissements illustraient à la fois la diversité culinaire et les inégalités sociales de l’époque, tout en offrant une solution pratique pour les classes populaires. Les découvertes archéologiques, notamment à Pompéi, permettent de mieux comprendre leur rôle et leur fonctionnement, enrichissant ainsi notre vision de la vie quotidienne dans l’Antiquité.

Références bibliographiques :

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