L'art du conte dans les cultures africaines © MOUMI34

L'art du conte dans les cultures africaines

 

Le continent africain est riche en traditions orales et en art du conte, avec des récits transmis de génération en génération à travers une variété de techniques narratives. Ces histoires sont ancrées dans les cultures et les sociétés diverses qui peuplent l'Afrique, offrant des perspectives uniques sur la vie, la nature, la spiritualité et l'histoire. L'exploration de l'importance de l'art du conte dans les cultures africaines met en évidence certaines de ses caractéristiques et influences.

La tradition orale et l'héritage des griots en Afrique

L'art du conte en Afrique repose principalement sur la tradition orale, où les histoires sont transmises de bouche à oreille plutôt que par écrit. Cette pratique favorise une interaction directe entre le conteur et son public, notamment lors des soirées contées à la tombée de la nuit, permettant non seulement des échanges intergénérationnels mais aussi un engagement émotionnel et une interprétation personnelle des récits. Ancrée dans l'histoire et la culture africaines, cette tradition constitue un pilier fondamental de la société.

Les griots, également désignés sous le nom de « gardiens de la tradition », occupent une place centrale dans la transmission de cet héritage oral. Ces conteurs talentueux sont hautement respectés au sein de leur communauté pour leur capacité à divertir, éduquer et inspirer. Leur expertise s'étend à la louange et à la déclamation des récits historiques, mettant en lumière les héros fondateurs et les merveilles de l'Afrique de l'Ouest.

Pendant des siècles en Afrique de l'Ouest, chaque roi avait son propre griot. Cette photo illustre un chef tribal accompagné de son griot au Sénégal au début du XXe siècle

Pendant des siècles en Afrique de l'Ouest, chaque roi avait son propre griot. Cette photo illustre un chef tribal accompagné de son griot au Sénégal au début du XXe siècle. | © François-Edmond Fortier (1862-1928)

Historiquement, la « caste » noteLes griots constituent un groupe socio-professionnel endogame, ce qui implique généralement qu'ils se marient entre eux et transmettent la tradition du conte au sein de leur lignée familiale. des griots s'est développée dans un contexte où l'écriture était absente, conférant ainsi la lourde responsabilité de transmettre l'histoire et la culture des civilisations africaines. À l'époque de l'Empire du Mali (ou Empire mandingue), fondé au XIIIe siècle de l'ère chrétienne par Soundiata Keïta (1190-1255), chaque famille aristocratique de griots était liée à une famille de rois-guerriers ou d'empereurs de rang supérieur, appelés jatigi. Pour l'anecdote, l'histoire de Soundiata, le souverain mandingue le plus célèbre de l'Afrique de l'Ouest, est essentiellement véhiculée à travers une épopée aux tonalités légendaires racontée de génération en génération jusqu’à nos jours par les griots. De plus, la plupart des villages avaient également leur propre griot.

Au fil du temps, les griots ont endossé divers rôles au sein des sociétés africaines, allant de médiateurs en cas de conflit à conteurs de traditions familiales et tribales. Durant le XIVe siècle, dans les pays du Sahel, le respect et la familiarité avec le griot leur permettaient d'approcher les parties en conflit sans être attaqués et d'entamer des négociations de paix entre les différents belligérants. On attribuait même aux griots des liens profonds avec les pouvoirs spirituels, voire métaphysiques, considérant que leur parole avait le pouvoir de recréer l’histoire et les relations à travers leurs contes.

Cet ancien baobab dans la Réserve de Bandia, au Sénégal, sert de mausolée vivant pour les restes des célèbres griots locaux

Cet ancien baobab dans la Réserve de Bandia, au Sénégal, sert de mausolée vivant pour les restes des célèbres griots locaux. | © Ji-Elle

Malgré leur importance socio-culturelle indéniable, les griots ont été confrontés à des préjugés et à des stigmatisations, souvent perçus comme un groupe distinct privilégié et très fermé sur lui-même. À cet égard, le terme jeli (signifiant littéralement « sang » en langue mandingue) désigne les griots, mettant en lumière le caractère héréditaire de leur statut social. Néanmoins, les griots continuent encore aujourd'hui de perpétuer la tradition orale africaine, transmettant consciencieusement leur savoir. Leur rôle dans la préservation de l'histoire et des coutumes est inestimable, faisant d'eux de véritables dépositaires de la richesse culturelle de l'Afrique. Cet héritage, bien que parfois méconnu ou mal compris, demeure un élément essentiel de l'identité africaine, rappelant la puissance et la beauté de la tradition orale dans la transmission des connaissances et des valeurs.

Les récits africains : une diversité narrative aux résonances profondes

La richesse des récits africains reflète la diversité des cultures qui les produisent, offrant une multitude de thèmes, de motifs et de personnages. Ces contes, souvent destinés aux enfants, peuvent raconter des mythes et des légendes sur les dieux et les héros, des leçons morales sur la vie quotidienne, des contes animaliers avec des animaux anthropomorphes ou encore des anecdotes de voyages et d'aventures fictives ou inspirés de faits réels. Localement, à l'échelle du village, les contes africains traitent de sujets comme les naissances, les décès, les mariages, les batailles, les chasses, les liaisons et autres événements de la vie.

La tradition orale africaine, bien que moins connue dans le monde occidental que l'art africain, est un élément essentiel de la culture du continent. Pourtant, avant l'arrivée des Européens et même avant l'émergence de l'écriture, les populations subsahariennes ont artistiquement exprimé leurs idées, émotions et préoccupations les plus profondes à travers une variété de formes, notamment les mythes, les légendes, les paraboles, les contes, les épopées, les généalogies, les proverbes, les devinettes et les chants. L'art du conte transmet donc non seulement des histoires, mais aussi des connaissances, des valeurs et des traditions. Chaque groupe ethnique et chaque région d'Afrique a ses propres références narratives, contribuant ainsi à l'extrême variété de l'art du conte.

L'art du conte africain transmet non seulement des histoires, mais aussi des connaissances, des valeurs et des traditions

L'art du conte africain transmet non seulement des histoires, mais aussi des connaissances, des valeurs et des traditions. | © DR

Il existe de nombreux contes oraux africains célèbres, chacun offrant sa propre richesse culturelle et ses enseignements. Voici quelques-uns parmi les plus connus :

  • « Le Roi Lion (ou Comment le lion est devenu roi) » : Saviez-vous qu'à une époque, le lion n'était pas considéré comme le roi des animaux ? En réalité, ce titre était détenu par Dankélé, un imposant buffle noir de la savane, qui régnait sur le peuple des bêtes. Ce conte, répandu dans de nombreuses régions d'Afrique, met en scène les animaux de la savane africaine et explore souvent des thèmes de courage, de leadership et de justice.
  • « Les trois filles de Gnamien Kli le bon dieu » : Après une période de désaccord causée par des manipulations, les trois filles de Gnamien Kli, persuadées de leur importance individuelle, se disputent, entraînant un arrêt des repas. Confrontées à la faim, elles réalisent que leurs querelles ont été alimentées par les commérages d'Idjirwa la fourmi. Réunies à nouveau, leur harmonie musicale ramène l'abondance des repas, mais la fourmi est rejetée, devenant ainsi dépendante de ses congénères pour survivre.
  • « Akendeya et l'araignée » : Akendeya, un tisserand rusé en difficulté financière, obtient des provisions en promettant de rembourser ses créanciers à des heures précises, mais il utilise des excuses pour retarder les paiements. En manipulant les rivalités entre eux, il échappe finalement à ses dettes. Cependant, sa ruse lui coûte la confiance de tous, le condamnant à la famine et à une existence précaire en tant que petit être aux longues pattes, tissant sa toile sans fin.
  • « Mille jours pour le voleur et un jour pour le propriétaire » : Kôyô-kôyô, un vieil homme travailleur et aimant la terre, possède une daba (sorte de baguette ou de bâton) magique qui lui permet de cultiver des récoltes abondantes. Son succès suscite la jalousie de Kayouhou, un voleur paresseux du village. Kayouhou vole les récoltes de Kôyô-kôyô mais est piégé par la daba magique, forcée de récolter les arachides. Après cette leçon, Kayouhou renonce au vol, et la paix revient au village, dissuadant ainsi tout acte de paresse ou de vol. La leçon morale de l'histoire souligne que les actions néfastes finissent toujours par rattraper leur auteur, même si cela prend du temps, tandis que la justice prévaut à la fin.
  • « La leçon du serpent boa » : Mot Binama l'être humain trouve Mvomo le serpent boa pris dans un piège et le libère. Mais Mvomo, affamé, demande à Mot Binama de se laisser manger pour le sauver. Aucun animal ne veut trancher le différend entre eux. Kounou la tortue propose une reconstitution des faits, où Mvomo se retrouve piégé à nouveau. Mot Binama le libère finalement, mais Kounou s'enfuit. Ce conte illustre le proverbe : "Un bienfait n’est pas toujours payé en retour".
  • « Le crapaud, le marabout et la cigogne à sac » : Monsieur Crapaud, se sentant défavorisé, consulte le Marabout pour obtenir un gri-gri qui lui apportera l'amour et le respect de tous, ainsi que la richesse. Le Marabout conçoit le gri-gri, mais lorsque la cigogne à sac entre dans la maison, le Crapaud, craignant d'être mangé, demande au Marabout de changer le gri-gri en carré de protection. Cette histoire illustre le proverbe : "On ne cherche à gagner que lorsqu’on n’est pas sur le point d’être ‘‘gagné’’ soi-même !" Autrement dit, le Crapaud, initialement obsédé par le désir d'être aimé, respecté et riche, réalise soudainement que sa vie est menacée par l'arrivée de la cigogne à sac. Il comprend alors que la sécurité et la protection immédiate sont plus importantes que la quête de richesse ou de renommée.

Instruments traditionnels africains dans les contes oraux

Quatre Koras exposant chacun quatre facettes

Quatre Koras exposant chacun quatre facettes. | © Wikimedia Commons

Le goje est l'une des nombreuses variantes de violons à une ou deux cordes originaires d'Afrique de l'Ouest

Le goje est l'une des nombreuses variantes de violons à une ou deux cordes originaires d'Afrique de l'Ouest. | © Wikimedia Commons

Le balafon, aussi appelé bala ou balani, est un instrument de percussion mélodique originaire d'Afrique occidentale

Le balafon, aussi appelé bala ou balani, est un instrument de percussion mélodique originaire d'Afrique occidentale. C'est essentiellement un type de xylophone avec des résonateurs. | © Redmedea

Le Junjung est un tambour de guerre royal utilisé par les Sérères au Sénégal et en Gambie

Le Junjung est un tambour de guerre royal utilisé par les Sérères au Sénégal et en Gambie. Il était joué lors des déplacements vers la bataille et lors de cérémonies officielles de l'État et religieuses. | © Wikimedia Commons

Outre la diversité thématique, les récits africains se manifestent également à travers différentes formes artistiques. En plus d'être racontés verbalement, ils peuvent être transmis par le biais de chants accompagnés de musiques traditionnelles, mettant en jeu une gamme d'instruments tels que la kora, le balafon, le junjung, le kontigi, le goje ou bien encore le ngoni. La danse et le chant font également partie intégrante de cette transmission culturelle, renforçant ainsi la mémoire collective. Enfin, les contes africains sont également récités à des fins cérémonielles, lors de rites initiatiques, favorisant la cohésion sociale et intergénérationnelle des communautés africaines.

Malheureusement, la tradition du conte oral tendrait à disparaître dans de nombreux pays d'Afrique. Cependant, la préservation de ces récits reste cruciale pour maintenir vivante la riche tradition orale africaine, qui continue d'inspirer les arts et de nourrir l'imaginaire collectif.

L'art du conte africain et son influence sur la créativité artistique

L'art du conte africain a laissé une empreinte significative sur les formes d'expression artistique et littéraire à travers le globe. Nombreux sont les écrivains, poètes et dramaturges contemporains qui s'inspirent des traditions narratives africaines pour concevoir des oeuvres originales reflétant les réalités et les préoccupations de la société moderne. De même, les artistes visuels intègrent fréquemment des motifs et des thèmes issus des contes africains dans leurs créations, contribuant ainsi à préserver et à promouvoir cet héritage culturel.

Par exemple, le romancier malien Massa Makan Diabaté (1938-1988), descendant et critique éclairé de la tradition des griots, considérait que ces derniers « n'existent plus » au sens classique du terme. Diabaté était convaincu que la tradition pouvait être préservée à travers la littérature. Ses oeuvres, romans et pièces de théâtre, fusionnent narration et idiome traditionnels mandingues avec les formes littéraires occidentales. Les auteurs des romans et des contes de la littérature africaine francophone intègrent souvent à leur répertoire des événements et des scènes issus du fruit de leur imagination. La narration dans ces oeuvres ainsi que les évocations des contes africains exploitent fréquemment l'image, le symbole, la métaphore et la structure cyclique pour relater un événement, transposer un vécu et réinventer le monde de manière idéelle.

Un griot jouant d'un instrument à Diffa (Niger)

Un griot jouant d'un instrument à Diffa (Niger). | © Roland

Il est important de souligner, dans le contexte de la littérature africaine, la diversité sous-jacente à l'expression singulière « littérature africaine », englobant une variété de littératures écrites et orales, dans différentes langues et appartenances linguistiques. Autrement, dit, il faut intégrer à l'analyse les littératures nationales en langue véhiculaire, celles en langue ethnique, les littératures écrites et orales, les littératures francophone, anglophone, lusophone et arabophone. Les récits littéraires véhiculent les expériences vécues par des héros aux noms significatifs, contribuant ainsi à l'élaboration de la conscience historique et culturelle.

Des écrivains contemporains tels que Chimamanda Ngozi Adichie, célèbre pour son roman Purple Hibiscus (2003), et Ngugi wa Thiong'o, connu pour Petals of Blood (1977), s'inspirent également des contes africains dans leurs oeuvres. Leurs récits captivants explorent les thèmes, les motifs et les valeurs ancrés dans la tradition orale africaine, offrant ainsi une réflexion profonde sur la société contemporaine.

Un conteur africain se produisant sur scène lors d'une représentation théâtrale

Un conteur africain se produisant sur scène lors d'une représentation théâtrale, jouant du balafon avec adresse et passion. | © TETLLA ASSOCIATION

Les sociétés africaines, fondées sur la communauté, reposent sur des lois et des principes régissant leur harmonie. Ces normes, bien que rarement documentées, demeurent ancrées dans la mémoire collective. Les contes participent activement à la transmission de ces valeurs, offrant une voie pour les réintroduire dans les systèmes d'enseignement en milieu scolaire, mais aussi au sein du tissu social familial. Car, les contes participent à des processus variés, allant de l'apprentissage informel quotidien à des rituels de passage plus formels.

L'art du conte occupe une place centrale dans les cultures africaines, témoignant de la richesse, de la diversité et de la vitalité des traditions orales du continent. Ces récits, transmis de génération en génération, sont une source inestimable de sagesse, d'inspiration et de connexion avec le passé. En explorant l'art du conte dans les cultures africaines, nous découvrons non seulement des histoires fascinantes, mais aussi les valeurs, les croyances et les aspirations des peuples qui les ont créées.

Références bibliographiques :

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