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Lire plusMoustiques : Pourquoi certaines personnes sont-elles plus piquées que d’autres ?
Des milliers d’espèces de moustiques existent, mais seules quelques dizaines piquent l’humain. Chez elles, la femelle a besoin d’un repas sanguin pour assurer la maturation de ses œufs. Ce prélèvement, souvent discret mais irritant, n’est pas aléatoire. Une multitude de facteurs physiologiques, génétiques, chimiques ou comportementaux influencent l’attractivité d’une personne pour ces insectes.
Le moustique : un chasseur olfactif d’une redoutable précision
Les moustiques sont des insectes appartenant à la famille des Culicidae, qui regroupe plus de 3 700 espèces. Ils sont présents sur tous les continents, sauf l’Antarctique et l’Islande. Leur système sensoriel, extrêmement développé, leur permet de repérer une proie humaine à plusieurs dizaines de mètres.

Les moustiques possèdent de grands yeux composés qui leur permettent de détecter mouvements et contrastes. Quant à leur proboscis, cette fine trompe flexible, elle est équipée de capteurs sensoriels et de stylets aiguisés qui perforent la peau pour prélever du sang avec une précision chirurgicale. | © Réjean Talbot
Ils commencent leur traque en détectant le dioxyde de carbone (CO₂) émis par la respiration, perceptible à plus de 10 mètres de distance. Une fois cette « piste » repérée, les moustiques se dirigent vers leur cible en suivant d'autres signaux comme la chaleur corporelle, les odeurs émises par la peau, ou encore la sueur. Les femelles hématophages utilisent pour cela des capteurs olfactifs situés sur leurs antennes, capables d’identifier avec précision certains composés volatils.
Une étude récente menée par la Johns Hopkins University (2023) a permis de cartographier ces cellules sensorielles, identifiant des récepteurs spécialisés dans la détection d’odeurs humaines « attractives ». Ces capteurs leur permettraient aussi de différencier les humains des autres animaux. Même après la perte de certains capteurs, leur système reste fonctionnel, preuve de l’efficacité évolutive de leur odorat.
Facteurs biologiques : groupe sanguin, température, sueur
Parmi les facteurs les plus étudiés, le groupe sanguin figure en bonne place. Une étude citée par le Smithsonian Institution a démontré que les moustiques préfèrent les individus de groupe sanguin O, suivis de ceux du groupe A, alors que les personnes de groupe B seraient moins souvent ciblées. Environ 85 % de la population sécrète également des signaux chimiques à travers la peau indiquant leur groupe sanguin, ce qui augmenterait encore leur attractivité.
La température corporelle joue également un rôle crucial. Les moustiques sont attirés par les corps plus chauds, ce qui expliquerait pourquoi les femmes enceintes — dont la température est légèrement plus élevée — se font piquer deux fois plus souvent que les autres. Ces dernières expirent aussi 20 % de CO₂ en plus, renforçant leur attractivité.
La sueur humaine constitue un autre élément décisif : elle contient de l’acide lactique, de l’acide urique et de l’ammoniac, des composés que les moustiques détectent facilement. Une température corporelle plus élevée, une activité physique ou un stress peuvent accentuer leur présence dans la sueur et donc augmenter le risque de piqûre.
Le microbiome de la peau et le sébum : des signatures odorantes uniques
La peau humaine est colonisée par des milliards de bactéries. Ce microbiome, propre à chaque individu, influence l’odeur corporelle et, par ricochet, l’attractivité pour les moustiques. Des recherches montrent que certaines configurations bactériennes rendent la peau particulièrement « savoureuse ». Les moustiques piquant les chevilles et les pieds (zones riches en glandes sudoripares et en bactéries) seraient attirés par une flore bactérienne spécifique.

Le sébum, ce mélange lipidique naturel, joue un rôle essentiel dans l’hydratation de la peau, mais il contient aussi des composés odorants qui peuvent attirer les moustiques. Une signature chimique irrésistible pour ces insectes en quête de leur prochain repas sanguin. | © SeizaVisuals
Plus récemment encore, une étude menée en 2022 a identifié un lien entre la sécrétion d’acide carboxylique — présent dans le sébum — et l’attractivité pour les moustiques, notamment Aedes aegypti. Certaines personnes en sécrètent naturellement davantage, ce qui les rend presque irrésistibles. Ce taux est génétiquement déterminé et ne varie pas selon l’alimentation ou l’hygiène. Il semble que les moustiques aient évolué pour privilégier ces odeurs typiquement humaines, y voyant un indice fiable de la présence d’eau douce à proximité — indispensable à leur reproduction.
Comportements et facteurs environnementaux : bière, couleurs, grossesse
Le comportement humain influence également le risque de piqûre. Une étude a mis en évidence que la consommation de bière augmente l’attractivité pour les moustiques. Ce phénomène pourrait s’expliquer par une légère élévation de la température corporelle et la présence d’éthanol dans la sueur. Par ailleurs, des odeurs corporelles comme celles produites après ingestion de fromage ou l’usage de certains parfums peuvent attirer les moustiques, en fonction de leur composition chimique.

Les femmes enceintes expirent plus de dioxyde de carbone et ont une température corporelle légèrement plus élevée, deux facteurs qui augmentent leur attractivité pour ces insectes gourmands. | © Janko Ferlic
La couleur des vêtements joue aussi un rôle. Les moustiques, bien qu’ils aient une vision limitée, sont sensibles à certaines couleurs, notamment le noir, le bleu marine et le rouge. Porter ces teintes vous rend plus visible à leurs yeux, surtout en combinaison avec des odeurs attractives. À l’inverse, des teintes claires et neutres, associées à une bonne aération du corps, peuvent limiter les risques. Enfin, la grossesse, déjà évoquée plus haut, cumule deux facteurs majeurs : une température corporelle plus élevée et une production accrue de CO₂. C’est pourquoi les femmes enceintes sont des cibles privilégiées.
Vers une meilleure prévention : les pistes scientifiques
Les moustiques ne sont pas qu’une gêne estivale. En tant que vecteurs majeurs de maladies comme le paludisme, la dengue, le virus Zika ou le chikungunya, ils affectent près de 700 millions de personnes chaque année et causent environ 750 000 décès. Comprendre pourquoi ils choisissent certaines cibles humaines est donc aussi un enjeu de santé publique.
Les découvertes récentes sur le système olfactif des moustiques permettent d’envisager de nouvelles approches pour les répulsifs. Mieux cibler les récepteurs responsables de la détection des odeurs humaines pourrait conduire à des produits plus efficaces et plus sélectifs. Il est également possible d’envisager des méthodes de leurre, en mimant les signaux des personnes très attractives pour éloigner les moustiques des populations vulnérables.

Aedes (Stegomyia) albopictus, plus connu sous le nom de moustique tigre, se distingue par sa fine ligne blanche parcourant son scutum, une marque visuelle qui le rend facilement reconnaissable. Espèce invasive, il s’adapte parfaitement aux environnements urbains et représente un vecteur majeur de maladies comme la dengue et le chikungunya. | © James Gathany / Centers for Disease Control and Prevention
En attendant, des mesures simples restent recommandées : éviter les vêtements sombres, se doucher régulièrement sans parfum, utiliser des répulsifs certifiés, limiter la consommation d’alcool en extérieur, et se protéger avec des moustiquaires ou des vêtements couvrants, surtout à l’aube et au crépuscule.
L’attractivité face aux moustiques est une combinaison complexe de facteurs biologiques, chimiques, comportementaux et environnementaux. Si certaines personnes semblent condamnées par leur génétique à être des « aimants à moustiques », mieux comprendre les mécanismes sensoriels de ces insectes ouvre la voie à des solutions plus ciblées. En attendant des innovations, connaître les facteurs qui nous rendent plus vulnérables peut déjà nous aider à réduire les risques... et à passer un été un peu plus tranquille.
Références bibliographiques :
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- Manushika Prasadini, Dilakshini Dayananda, Sachini Fernando, Iresha Harischandra, Nissanka De Silva, “Blood Feeding Preference of Female Aedes aegypti Mosquitoes for Human Blood Group Types and Its Impact on Their Fecundity: Implications for Vector Control”, American Journal of Entomology, vol. 3, no. 2, 2019, pp. 43–48.
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